Grâce aux factures de la présidence de la république révélées par Anonymus, les Tunisiens ont découvert les habitudes de leurs dirigeants, qui confondent politique et gastronomie...
Dr Fethi El Mekki*
Il parait, selon des mauvaises langues qui mériteraient d'êtres arrachées, que du côté du Palais de Carthage, durant ces trois dernières années... En ces jours fastes et bénis du tout puissant... Il y a eu de ces gloutonneries gargantuesques que le monde de la fine gastronomie n'a jamais connues...
Pour les plus pessimistes, on vient d'assister à l'oraison funèbre de l'intelligence tunisienne, une énième fois... Et à la magnificence de la débauche de table jusqu'à plus soif ...
La grande bouffe I :
Ce qu'on a pu observer en Tunisie dans ce qu'elle a de plus singulier et de plus exquis: c'est une partie de ses politiques au pouvoir... Malgré eux, ils ont confondu politique et gastronomie... Et ça éclate dans tous les sens...
Ces messieurs se sont avérés voraces et nous Tunisiens, une autre fois, tristes, consternés et prostrés...
Pourtant, ils ne sont pas plus bêtes que les autres. Ils sont allés à l'école. Ils ont étudié...
Pourtant ils ont été élus, pour proposer à nos enfants un avenir où tout serait possible, grâce à l'effort et au travail... Non pas pour se gargariser de gargouillis légendaires...
Pourtant ils ont été élus, pour que la Tunisie redevienne la patrie de la méritocratie et de la responsabilité... On a eu droit à des factures présidentielles témoignant de la férocité des séances de goinfrerie... Qui, sans aucun doute, vont endommager cœur, foie et pancréas...
Alors que la Tunisie profonde souffre et s'appauvrit, ils ont droit à de la mangeaille à profusion... Sous des airs civilisés...
Alors que la Tunisie profonde gronde et pleure ses morts, ils ont droit à de ces bectances qui vous bousille le système cardio-vasculaire... Pour leur estomac ça ne peut être que tragique... Que Dieu nous en préserve...
En plein moyen-âge gastro-intestino-démocratique, les plaisirs de la table doivent être, pour ces dévoreurs insatiables, quelque chose comme la preuve de l'existence de Dieu...
A priori, cette caste est du genre à croire qu'il vaut mieux mourir d'indigestion que de faim... Et elle vient de nous le prouver, de la plus belle des manières...
La Tunisie peut dormir tranquille. Nos amis veillent sur nous, installé confortablement entre les fours et les frigos des cuisines présidentielles, ronronnant et picorant à satiété les différents mets pour assouvir leur vengeance... Pardon leur petit creux...
Les factures qu'on vient de nous faire découvrir font mal, très mal... La Tunisie est au bord de la banqueroute et ces gloutons font bonne chère dans la joie...
On peut tout leur reprocher... Une légitimité miraculeuse et miraculée... Une aptitude juvénile à mettre le couvercle sur des procédés douteux... Mais, surtout pas, leur manque de vergogne et d'appétit... Ces prédateurs, ayant rapidement atteint leur seuil d'incompétence, n'arrivent pas et n'arriveront jamais à faire la fine bouche...
Et dire que le rossignol des charniers, le charmant Bernard Henry Levy et l'aiglon foudroyé Gilbert Naccache ont pris fait et cause pour ces affamés...
La grande bouffe II :
En dépit du fait que la tension sociale est à son comble, nos amis, au destin fabuleux et aux manières de petits marquis... Choisis à priori pour leurs anomalies... Comme on sait, par qui on sait... Se sont réunis régulièrement, officieusement ou officiellement, à Carthage et ailleurs, pour faire joyeuse bombance, autour de banquets qui ont coûté des centaines de millions au contribuable...
En ces temps de disette... L'indignation n'est plus de mise dans notre pauvre petit pays...
Choquer ne choque plus. L'irrévérence est la norme. Rien n'étonne. Tout est banal...
Grâce à ces fameuses factures, la Tunisie découvre horrifiée que ces aigrefins sont festifs, adeptes de la bouffetance à outrance et se servent avec dextérité des fourchettes et des couteaux... Et qu'ils ont les tripes sur la langue...
Le dénuement, la misère et la faim qui tenaille les entrailles de centaines de milliers de Tunisiens... Ils n'en ont cure. Ils n'ont pas empêché ces boulimiques de prouver, en ce moment de grâce divine, qu'ils sont capables de faire des ripailles telluriques... Où bruits de déglutition, éructations, gargouillements, ricanements... Et soupirs de contentement ont été entendus... Dans le quartier parait-il... Très tard dans la nuit... Pour les riverains c'était le grand frisson...
En cette période où le bêtisier politique est passé du stade artisanal au stade industriel, du fait de la mauvaise foi, de l'inculture et de l'infantilisme politique... Nos petits veinards se sont rempli la panse et rincé la glotte jusqu'à l'étouffement... Au cours de folles agapes où dégustations et libations n'en finissent plus...
C'est sans doute leur seule faiblesse: «la gourmandise»...
La grande bouffe III:
Le problème avec la faim, c'est qu'elle réapparait comme les champignons après la rosée, chaque matin...
On savait que c'étaient des hommes d'états... Au décours de ces festins, on à découvert qu'ils savent également mangeailler et boustifailler...
Au fur et à mesure de ces mémorables retrouvailles... Les visages se sont arrondis... Les regards soupçonneux, circulaires et haineux, des conseillers chargés de la faillite du pays, des chefs de rayons farces et tromperies et des ministres de la qualité de vie... Ont lentement disparu et laissé place à des regards plus humains et optimistes...
Les arêtes de leurs visages se sont polies... Le nez s'est affiné... Les voix sont devenues doucereuses, enfantines et même chevrotantes...
Ces imposteurs ne sont pas prêts d'oublier cet épisode de vie, qui ne cesse de les étonner eux-mêmes...
De la même famille que la mouche Tsé-tsé, la piqure de la goinfrerie génère de nombreux symptômes, tel qu'un sourire de diamant, des rots, un teint fleuri, un estomac avantageux... Les mensonges à répétitions, la restriction des libertés, la formation de milices pour taper sur les récalcitrants... Et, au bout du chemin... la dictature de la bouffetance à outrance...
Vit-on jamais une présidence, après une «révolution», s'empiffrer goulument de la sorte, avec autant de plaisir, d'arrogance et d'avidité ? Alors que des centaines de milliers de Tunisiens crient famine ...
En fait ils nous aiguisent l'apathie et eux ils s'aiguisent l'appétit...
Et c'est dans une sorte de silence gêné que les énièmes plats ont été servis... Au cours des derniers diners... Ecarlates, soufflants et souffrants, mais souriants... Ils ont continué à se régaler. Nous aussi...
C'est la civilisation de la boustifaille... Ils nous ont prouvé que l'intelligence est inversement proportionnelle à la taille de l'estomac... Que dieu nous en protège...
Après ces formidables orgasmes gastronomiques où la panse la plus organisée ne saurait résister à ce débarquement providentiel et inattendu de victuailles et de mets savoureux, il est évident que, côté politique et digestif, nos amis souffrent d'une anomalie assez facile à diagnostiquer... C'est des gloutons... A table, ils ne peuvent se contenter du rôle de figurants...
D'ailleurs au palais de Carthage, dans la grande salle à manger, où les murs sont devenus gris de honte, même les mouches ont disparu...
Le crépuscule des aigles :
A la vieille de la formidable débandade du 23 octobre 2011, à la fin du diner, ces gobeurs frénétiques de crevettes et de mérou ont carrément perdu les pédales et se sont mis à délirer, certains d'entre eux, se sont pris pour Hannibal... d'autres pour Jugurtha...
Un autre, que je ne nommerais pas, docteur ès gloutonnerie, très nerveux... s'est carrément pris pour l'élégantissime Habib Bourguiba... Décidément...
Dans leurs diatribes et élucubrations, nos amis ont toujours dignement affirmé opposer la démocratie à la dictature, le vulgaire au sublime, le matériel au spirituel... En fait non... Pas du tout... Ils nous ont démontré, élégamment d'ailleurs, qu'ils préfèrent le ventre à la tête...
D'ici le second tour de l'élection présidentielle, il va falloir bien s'en méfier, car comme disait Jean de la Fontaine : «Si ventre affamé n'à point d'oreilles, l'estomac repu n'écoute pas davantage...»
Chers messieurs... En vous gobergeant de façon plantureuse au frais de la princesse... Comme d'habitude : vous êtes allés de morceau de bravoure en morceau de bravoure...
Chers messieurs... Le Tunisien rêve d'une Tunisie raffinée et élégante et non pas d'une Tunisie avide, gloutonne et baveuse...
Chers messieurs... Au nom du peuple Tunisien... Je vous demande humblement... Pour parfaire votre imposante culture politique, la lecture de ''Les politiques ont-ils une âme?'' d'Isabelle Dillmann... Et surtout ''Le Fiasco'' de Ghislaine Ottenheimer...
Votre carrière politique est morte. Il manque juste les trois pelletées de terre. Sans commentaires.
* Pneumo-allergologue.
NB : ''La Grande Bouffe'' est un film culte franco-italien réalisé par Marco Ferreri en 1973. Le film raconte l'histoire de quatre hommes gourmets et gourmands, qui fatigués de leurs désirs inassouvis, ont décidé de s'enfermer dans une villa pour se livrer à un suicide collectif en mangeant jusqu'à ce que la mort (physique et pas politique... bien évidemment) s'ensuive... A voir absolument...
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