La Tunisie saura d'autant plus déjouer les complots extérieurs qu'elle sera désormais gérée par un vrai homme d'Etat, Beji Caïd Essebsi, et son parti, Nidaa Tounes.
Par Mohamed Troudi *
Plus de trois ans après le déclenchement de ce qui a été communément appelé le «printemps arabe», le peuple tunisien arrive à vomir ceux qui lui ont confisqué ce qu'il avait de plus cher, sa liberté et sa quiétude légendaire.
Une page sombre à tourner
L'on a assisté, en effet, depuis octobre 2011, à la destruction méthodique des fondements historiques de ce pays, qui a toujours connu et pratiqué un islam largement contextualisé et par conséquent ouvert et tolérant. On a, depuis, remplacé des régimes certes antidémocratiques mais modernes et laïques, par des nouveaux despotes des temps modernes, jouant le rôle de petit «caniche» bien domestiqué, prêt à servir les intérêts étrangers, auxquels ils sont largement inféodés.
Certains répliqueraient en disant que c'est une conspiration conduite par des personnes à la solde des anciens régimes. Et ce sont exactement les critiques infondées dont fait aujourd'hui l'objet le vieux sage Béji Caïd Essebsi.
La vérité est que le peuple, soi-disant libéré hier, regrette amèrement le temps de l'ancien régime, une partie va même jusqu'à réclamer son retour et le prouve aujourd'hui en infligeant une défaite cuisante à la Troïka, l'ex-coalition gouvernementale dominée par les islamistes, et ses sbires de tout poils.
Oui les Tunisiens ont sanctionné, le 26 octobre 2014, Ennahdha et son amateurisme politique désormais légendaire, doublée d'une incompétence de tous les instants, c'est ce que l'histoire retiendra du passage des islamistes que je considère somme toute que comme un aléa de parcours et une page sombre de l'histoire récente tunisienne qu'il faudrait rapidement tourner.
Je rappelle pour mémoire que cette alliance islamo-capitaliste, pour reprendre l'expression de mon ami Mezri Haddad (dont j'apprécie la franchise, l'honnêteté et le degré élevé d'amour de sa patrie, comme d'ailleurs nombre de Tunisiens et j'en connais beaucoup qui ont souffert de voir leur pays livré à l'arbitraire et plus grave encore à l'abîme), est parti des attaques terroristes contre les États-Unis et l'invasion d'Afghanistan qui en a suivi, puisque les Américains vont changer de stratégie en se rapprochant des différents courants islamistes, rompant ainsi avec une position affichée jusqu'à là, considérant les islamistes comme un danger et des ennemis à combattre.
On assiste depuis l'avènement des «prétendus printemps arabes» à un renversement des valeurs et une modification en profondeur de la stratégie politique de l'Amérique. Elle va alors utiliser tous les islamistes repentis et soi-disant modérés, comme les nouveaux gardiens des intérêts américains dans le monde arabe.
L'échec de l'alliance américano-islamiste
L'outil de cette nouvelle alliance américano-islamiste qui, loin d'être une alliance contre-nature, c'est la mise en avant du refrain habituel dans ce type de situation, la construction de la démocratie et l'instauration des droits humains dans ces pays, il est vrai longtemps bafoués mais avec la caution et le soutien de cette même Amérique, de ses «pantins» européens et arabes. L'installation des nouvelles dictatures obscurantistes et rétrogrades obéit à certaines conditions sine qua non imposées par les États-Unis:
1) accepter la mainmise américaine sur les ressources énergétiques du monde arabe notamment le pétrole;
2) imposer l'État israélien comme la seule puissance régionale au détriment des droits historiques légitimes du peuple palestinien;
3) arrêter définitivement toute attaque et actions terroristes contre les États-Unis et leurs intérêts dans le monde.
Seulement, chacun sait que les droits de l'Homme sont le dernier des soucis ou plutôt le dernier «avatar» pour reprendre l'expression du généticien Axel Kahn de la mission civilisatrice des anciennes puissances coloniales.
Pour s'en convaincre, il suffit de consulter un livre référence sur ce programme diabolique des États unis. Il s'agit de l'ouvrage de Robert Dreyfuss au titre combien évocateur de ''Devil's Game. How the United States Helped Unleash Fundamentalist Islam'' (''Jeu du diable. Comment les États-Unis ont aidé à libérer l'islam fondamentaliste?''», paru en novembre 2005.
Ces pays libérés sont en effet confrontés aujourd'hui à l'influence grandissante du wahhabisme, considéré comme une forme extrême de l'islamisme politique, instrumentalisée par les États-Unis, comme le rappelle excellemment l'auteur.
Ce programme va être tout simplement accéléré par le président démocrate Obama dès son accession au pouvoir à la tête des États-Unis. Il faut rappeler pour information que ce dernier, né d'un père kenyan musulman, a grandi dans un environnement musulman et avec un beau-père musulman d'origine indonésienne. Il connaît donc bien ce type d'islam plutôt fermé et tourné vers le communautarisme et le repli identitaire, qui contraste avec l'islam de la grande majorité de la nation arabo-musulmane et notamment du Maghreb. Je veux parler d'un islam largement contextualisé, tolérant, ouvert sur son environnement régional et international, ce qui est le cas en Tunisie.
Il faut dire qu'avec l'arrivée d'Obama à la Maison blanche, les islamistes ne pouvaient espérer meilleur allié pour amorcer enfin leur conquête tant attendu du pouvoir dans le monde arabe, après tant d'années de marginalisation et de répression.
Les islamistes, cependant, se trompent lourdement et commettent presque un péché impardonnable que de se laisser tenter par une puissance étrangère généralement islamophobe, ne cherchant qu'à assurer et pérenniser ses intérêts et ceux de son allié stratégique, Israël.
En somme cette nouvelle génération de dictateurs à la solde de l'étranger n'a pas encore réalisé à quel point les États-Unis pouvaient être l'ennemi de la démocratie et de la liberté des peuples quand ses intérêts vitaux pourraient être en cause. Je pense avec conviction que la stratégie des États-Unis vise à affaiblir l'islam et les musulmans en utilisant le seul vrai poison qu'ils aient trouvé à ce jour, celui des islamistes et qui semble faire effet.
C'est dans le cadre de cette diabolique et machiavélique stratégie que s'inscrit le rôle moteur des États-Unis dans le monde arabe après les très controversés «printemps arabes». En d'autres termes, les États-Unis d'Obama sont passés d'une hostilité certaine envers les différentes organisations islamistes dans le monde, dont la plupart étaient inscrites dans une liste exhaustive des mouvements terroristes, à celle d'une alliance presque stratégique avec des mouvements islamistes en tête desquels les Frères musulmans et leurs acolytes tunisiens. Ils ont failli jeter notre pays en pâture, danger rendu possible par une collusion d'intérêts dépassant de très loin le peuple tunisien qui n'a rien vu venir, mais qui ouvre désormais les yeux, finissant par mettre hors d'état de nuire ceux qui lui veulent du mal.
La victoire du peuple tunisien
Le peuple tunisien, lucide et tolérant, a compris que le temps est venu pour faire face comme un seul homme à ce projet destructeur et dangereusement déstabilisateur à l'échelle de la région maghrébine tout entière. Il vise, aujourd'hui, la Syrie, le Liban, et demain l'Algérie, l'Iran et la liste est loin d'être exhaustive.
N'oublions pas, à ce propos, le proverbe algérien qui dit : «Ce sont des trous creusés par des rats qui font tomber le cheval».
Oui la Tunisie a vécu ces trois dernières années une étape très sensible pour ne pas dire dangereuse de sa très longue existence. Elle est à un tournant de sa riche histoire. Je reste néanmoins confiant dans l'avenir de ma chère patrie, forte de ses capacités humaines, de la tolérance et de l'intelligence légendaires de son peuple.
Un pays qui a donné naissance à la première constitution moderne dans un pays arabo-musulman, organisant le pouvoir politique, mise en place le 26 avril 1861 par Mohammed Sadok Bey, après la proclamation du Pacte fondamental en 1857, un mouvement d'idées qui a longtemps inspiré les générations suivantes de Destouriens qui n'ont cessé de revendiquer une constitution dans les premières années du XXe siècle jusqu'à l'Assemblée constituante après l'indépendance.
Un pays qui a connu son entrée dans la modernité sous l'ère d'Ahmed Bey (1837-1855) et qui a aboli l'esclavage le 23 janvier 1846, soit deux ans avant la France (27 avril 1848). Un pays, patrie de grands réformateurs courageux tel Kheireddine Pacha, qui expliquait dès 1868 que «l'avenir de la civilisation islamique est lié à sa modernisation», de Cheikh Mohamed Senoussi qui prônait dès 1897 la promotion de l'éducation des filles, ou encore de Tahar Haddad, qui plaidait pour la suppression du hijab, que Bourguiba qualifiera de «misérable torchon», de Mohamed Bayram et autres figures de proue du réformisme tunisien moderne.
Un pays qui s'est distingué par un ensemble de lois révolutionnaires largement en avance sur leur temps, tel que le Code de statut personnel (CSP), donnant de larges droits à la femme, comme le consentement obligatoire au mariage, la création d'une procédure de divorce et l'abolition de la polygamie ou encore la reconnaissance du droit à l'avortement médical et/ou social dès 1969, soit 5 ans avant l'octroi de ce même droit aux femmes françaises.
Un pays a démontré qu'il ne peut pas parce qu'il ne veut pas sombrer dans l'irrationnel.
La victoire étincelante et non moins confortable de Beji Caïd Essebsi a d'abord prouvé la capacité élevée du peuple tunisien en matière d'apprentissage démocratique. Gageons que cette première victoire sur l'arbitraire en appellera d'autres plus éclatantes encore, qui consisteront à relever les défis immenses en tête desquels ceux du progrès économiques et social, de l'emploi et du développement des régions longtemps délaissées.
C'est à cette condition sine qua non que le mot démocratie prendra toute sa signification et finira par s'enraciner dans le vocabulaire et la culture tunisienne. C'est également à cette condition que la Tunisie restera debout et résistera aux complots et aux tentatives de déstabilisation.
Elle pourra d'autant plus résister qu'elle sera désormais gérée par Beji Caïd Essebsi, un homme de grande sagesse, qui a une vraie stature d'homme d'Etat, et son parti, Nidaa Tounes.
* Docteur en droit, enseignant chercheur en relations internationales et stratégiques, politologue et analyste en politique étrangère, Paris.
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