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Le gouvernement doit être formé avec les démocrates et progressistes, et non avec les perdants des élections, sinon l'alternance politique n'aura plus aucun sens.

Par Mohamed Salah Kasmi*

Les négociations pour une alliance gouvernementale vont débuter officiellement après l'installation de Béji Caïd Essebsi, nouveau président de la République, au palais de Carthage. La question est tellement délicate que les états-majors des partis politiques concernés ne soufflent pas un mot. Le secret sur les tractations déjà commencées après l'annonce des résultats officiels des élections législatives entre formations politiques susceptibles de participer au gouvernement, tels que Afek Tounès, l'Union patriotique libre (UPL) voire le Front populaire, est farouchement bien gardé.

La formation d'un gouvernement est un exercice périlleux

Nidaa Tounès est conscient de la position hostile de ses électeurs à l'égard de la participation «éventuelle» d'éléments de tendance islamiste. Il n'est pas question pour eux de s'allier avec leurs adversaires politiques d'Ennahdha. Ils estiment que l'élection des candidats de Nidaa Tounès et des autres partis progressistes vise à déloger les islamistes et non à leur accorder la possibilité de glaner de nouveaux postes politiques au sein du gouvernement ou à la tête de certaines administrations ou représentations diplomatiques.

Dans un article intitulé «Béji Caïd Essebsi doit maintenir sa candidature», publié le 4 novembre 2014 par Kapitalis, je disais que la «présence de Béji Caïd Essebsi à Carthage épargnera à la Tunisie les affres de la cohabitation et assurera la cohésion entre le gouvernement et la présidence». Nidaa Tounès ne fera pas l'erreur d'Ettakatol ni du CpR, qui ont renié leurs engagements à l'égard de leurs électeurs en acceptant de gouverner avec les islamistes. Le résultat fut leur anéantissement lors des dernières élections législatives.

Depuis son départ, Ennahdha a lissé son discours mais en réalité, il n'existe pas de différence entre «l'ancien» et le «nouveau» Ennahdha sinon à vouloir se réintroduire dans l'appareil de l'Etat pour «achever son travail de réislamisation de l'Etat déjà entamé pendant la gouvernance de la troïka et ce, en prévision des élections de 2019». C'est dans ces termes que je réagissais dans une interview intitulée : «Ennahdha veut achever la réislamisation de l'Etat», accordée le 24 octobre 2014 à ''Direct Matin'' à Paris.

La formation d'un gouvernement doit être conclue seulement avec des démocrates et des progressistes et non avec les perdants des élections, sinon l'alternance politique n'aura plus aucun sens.

L'écart confortable des voix lors des deux élections législatives et présidentielles éloigne l'éventualité de participation d'Ennahdha au futur gouvernement. Mais il faut rester vigilant!

Dans une démocratie, il y a une majorité qui gouverne et qui est politiquement responsable devant le Parlement et une opposition qui a un rôle parlementaire en tant que composante essentielle au sein de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP). A ce titre, elle dispose de droits lui permettant d'exercer ce rôle et lui garantissant une représentativité adéquate et effective dans toutes les instances du Parlement ainsi que dans ses activités internes et externes dont la présidence de la commission financière ou des relations extérieures et elle de rapporteur pour l'une ou l'autre. L'élection d'Abdelfattah Mourou, député d'Ennahdha, au poste de premier vice-président au Parlement va dans ce sens.

Comme dans toute démocratie avancée, Nidaa Tounès doit avoir des relations de concertation avec Ennahdha, devenu parti d'opposition depuis les dernières élections législatives.

La démocratie n'est pas un fleuve tranquille

Le chemin pour parvenir à la démocratie reste semé d'embûches. Le tourbillon révolutionnaire est un phénomène qui s'inscrit dans la durée. Il ne peut s'apaiser de sitôt. Construire un régime démocratique nécessite beaucoup de luttes et de sacrifices, énormément d'efforts, une éducation à la citoyenneté et assez de temps pour changer les mentalités et ériger un édifice démocratique.

L'académicien et parlementaire français du 18e siècle François Guizot disait que les révolutions «emploient presque autant d'années à se terminer qu'à se préparer». Des rapports de force s'exercent pour trouver leur équilibre.

Les élections législatives et présidentielles que nous venons de vivre sont un élément du processus démocratique. Une autre étape nous attend, celle de l'édification d'un Etat de droit capable de relever les défis. Et ils sont nombreux à commencer par le rétablissement de l'autorité de l'Etat et du rayonnement extérieur de la Tunisie, l'assainissement des institutions gouvernementales, le rétablissement de la justice, la consolidation de la République civile et démocratique, l'inversion de la courbe du chômage, l'amélioration du pouvoir d'achat, la réduction des déficits publics et la mise en place des réformes économiques, sociales, culturelles et environnementales promises.

Certes, réformer c'est difficile eu égard le lourd héritage laissé par la troïka en termes d'affaiblissement du pouvoir d'achat, de dévaluation du dinar, d'augmentation des taux du chômage et de pauvreté, etc.

Il faut donc beaucoup de travail et de patience avant de toucher les bénéfices des réformes qui seront initiées par le nouveau gouvernement. Mais auparavant, il importe d'engager ces réformes sans retard. Tous ceux qui ont voté Nidaa Tounès et tous les adhérents et sympathisants des autres partis de la coalition gouvernementale seront attentifs aux résultats concernant la consolidation de la sécurité, la relance économique, le développement des régions déshéritées, la restauration des équilibres macroéconomiques, l'encouragement de l'entreprenariat, le développement de l'économie sociale et solidaire, etc..

* Ecrivain, administrateur général à la retraite, ancien professeur de droit social et de GRH, auteur de ''Tunisie : l'islam local face à l'islam importé'' (L'Harmattan, Paris, octobre 2014).

Illustration: Caïd Essebsi au milieu de son comité de soutien:  Slim Riahi, Yassine Brahim, Kamel Morjane et Taïeb Baccouche.

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