Dans cette «Lettre ouverte à monsieur le président de la république», l'auteur rappelle les 3 urgences du moment: lutte antiterrorisme, relance économique et création d'emploi.
Par Mohamed Salah Kasmi*
Monsieur le Président,
Je me permets de vous interpeller sur l'avenir de la Tunisie alors que vous venez de prendre vos fonctions de premier Président de la République élu démocratiquement après la Révolution.
Votre installation au Palais de Carthage a coïncidé avec le jour du nouvel an. A cette occasion, je vous souhaite pour la nouvelle année 2015 bonheur, santé et réussite dans la conduite des affaires du pays.
Le 21 décembre 2014, les Tunisiens vous ont élu avec une majorité confortable et une grande espérance afin de changer leur devenir et d'effacer les séquelles de trois années de plomb.
Le 21 décembre 2014, les Tunisiens ont été heureux de porter tous leurs espoirs sur votre élection afin que vous puissiez mettre en œuvre vos promesses électorales.
Le 31 décembre 2014, tous les Tunisiens ont suivi attentivement votre prestation de serment constitutionnel à la Coupole du Bardo lors d'une session plénière extraordinaire de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) au cours de laquelle vous avez pris un engagement formel pour la garantie de l'unité nationale, la réconciliation, le traitement des dossiers économiques et sociaux et l'instauration d'une diplomatie active fondée sur des positions modérées sans ingérence dans les affaires intérieures des pays et le respect de la loi internationale.
C'est pourquoi, Monsieur le Président, je vous écris cette lettre pour vous demander, au nom de votre engagement, de continuer à agir, comme vous le faites admirablement, en homme politique visionnaire et non en technocrate.
La Tunisie a plus besoin de responsables politiques pour guider sa marche vers la démocratie, la prospérité économique et le progrès social que d'experts techniques dont la place est dans les cabinets ministériels et au sein des structures spécialisées de l'Etat.
La Tunisie a besoin d'hommes d'action et non de théoriciens complètement déconnectés de la réalité du terrain.
Les Tunisiens attendent de vous d'être l'homme qui restaurera leur confiance en leur classe politique et redorera l'image de leur pays à l'étranger, image ternie par trois années de gouvernance désastreuse.
Les Tunisiens attendent de vous d'être le Président de la République qui conciliera la jeunesse avec ses élites politiques et les citoyens avec leurs institutions.
Quand vous avez créé votre parti Nidaa Tounès, vous vous êtes armés d'une ferme volonté politique et vous avez préféré l'action aux slogans. Cette stratégie a réussi à fédérer les Tunisiens autour de votre projet d'une société ouverte, moderniste, juste, équitable et civile.
Aujourd'hui, vous devrez engager la Tunisie comme vous l'avez promis sur une série de réformes tendant à la mise en place des institutions constitutionnelles, la réalisation des objectifs de la Révolution, la protection des droits humains, la sauvegarde du prestige de l'Etat et la lutte contre le terrorisme.
Le nouveau gouvernement, dont le Premier ministre est désigné par le parti que vous aviez fondé, doit se doter d'un plan d'action avec des délais d'exécution précis.
Certes, la nouvelle constitution a limité vos prérogatives, l'essentiel du pouvoir exécutif étant aujourd'hui entre les mains du gouvernement responsable devant le Parlement, mais vous demeurez le symbole de l'unité du pays et le garant de son indépendance et sa continuité.
A ce titre, vous veillez au respect de la constitution qui vous permet non seulement de définir les politiques générales de la défense, des relations internationales et de la sécurité nationale mais aussi de proposer des référendums sur des projets relatifs à la ratification des traités, aux libertés et aux droits de l'homme ainsi qu'au statut personnel
En conséquence, Monsieur le Président, je vous demande de bien vouloir, en votre qualité de Chef de l'Etat, donner le ton pour réaliser les priorités constamment exprimées par vos soins.
Vous avez mis lors de vos différents discours le doigt sur les facteurs de blocage de la croissance économique et la nécessité d'initier de toute urgence les réformes indispensables.
Les Tunisiens sont fatigués par 4 années d'instabilité, de populisme et de médiocrité. Ils vous ont élu pour dire qu'une autre politique est possible, que le pays ne se résigne pas et ne demande que faire vivre son économie qui attend tout simplement la venue de dirigeants compétents et motivés pour exploiter son potentiel à bon escient.
Il est vrai que les réformes structurelles sont difficiles à mettre en place mais elles demeurent la clé de voûte pour réaliser la croissance économique tant attendue. Ces réformes ne peuvent produire leurs effets favorables qu'en deux ou trois ans. C'est pourquoi, leur mise en œuvre doit être accompagnée par des mesures dont les effets peuvent être palpables rapidement en termes de création d'emploi et d'aide aux entrepreneurs.
Monsieur le Président,
Les réformes structurelles doivent s'appuyer sur un ensemble de dispositifs concernant aussi bien les méthodes de gouvernance que l'amélioration des infrastructures. Trois urgences sont à privilégier.
La première consiste à lutter efficacement contre le terrorisme. La Tunisie se trouve engluée dans la violence. Elle est en présence de milliers de Tunisiens impliqués dans des groupes terroristes ou appartenant à des réseaux de soutien. La lutte contre le terrorisme est une priorité d'ordre sécuritaire et économique. Vous avez raison de donner la priorité à la modernisation du système national des renseignements et à l'instauration d'une direction unifiée des différents corps de l'Armée nationale afin d'améliorer le rendement opérationnel et réaliser une meilleure exploitation des ressources humaines et financiers.
Certes, nous devons rester très fermes face aux groupes terroristes. Cependant, la lutte contre le terrorisme ne doit pas se limiter au bombardement des positions des terroristes cachés dans les montagnes. Elle nécessite une lutte acharnée contre les prédicateurs qui continuent à prêcher la haine et la violence et recrutent les jeunes pour alimenter la machine de guerre islamiste.
Il faut s'attaquer aussi aux problèmes socio-économiques et au désœuvrement des jeunes. Les personnes qui appellent aux meurtres doivent être sévèrement jugées. L'activisme des groupes salafistes radicaux opérant encore dans les mosquées et les prisons doit être combattu.
La seconde urgence est le redressement économique durable du pays. La Tunisie a perdu beaucoup d'emplois depuis la Révolution et n'en a créé que très peu. Nous pensons que le chômage allait baisser, il a encore progressé malgré les cache-misères que sont les «emplois assistés».
Devant la situation catastrophique du chômage, l'administration ne peut pas absorber à elle seule les 700.000 chômeurs dont 250.000 diplômés du supérieur. La solution réside dans la relance de la croissance économique, la restauration des équilibres macroéconomique, l'encouragement de l'entrepreneuriat, le développement de l'économie sociale et solidaire, la lutte contre l'économie souterraine et la lutte contre l'absentéisme dont le taux avoisine 12% soit le quadruple de celui en Europe.
L'efficience des services publics est un domaine qui nécessite également une attention particulière de la part du nouveau gouvernement. Votre promesse électorale qui consiste à lutter contre la pollution et le cumul des déchets en fournissant aux municipalités les moyens financiers et matériels nécessaires va dans un sens écologique et d'emploi. Un meilleur rapport entre les attentes de la population et la qualité des services publics fournis doit être le leitmotiv de l'administration tunisienne postrévolutionnaire.
La troisième et dernière urgence consiste à lutter contre la fracture territoriale visant à réduire les disparités criantes entre les régions et à promouvoir les capacités locales de développement économique. C'est sur un fond de déséquilibre territorial que la Révolution de la dignité a vu le jour. Il faudra donc mettre en place les dispositions contenues dans la constitution prévoyant la création ou le transfert de compétences de l'autorité centrale aux collectivités locales et leur accompagnement d'un transfert des ressources correspondantes.
Les Tunisiens savent que la fragmentation de la société tunisienne demande un engagement vigoureux sur le chemin de la réconciliation et ils sont prêts de se lancer à vos côtés dans cette belle aventure. Pour cela, il faut que tous nos responsables politiques mettent l'intérêt de la nation comme première préoccupation dans leur action et arriment leurs ambitions personnelles à cette cause nationale.
Je vous prie d'agréer, Monsieur le Président de la République, l'expression de ma haute considération.
*Ecrivain, essayiste, Administrateur général à la retraite, Ancien Professeur de droit social et de GRH et ancien membre du conseil scientifique de l'ENA de Tunis, auteur de « Tunisie : l'islam local face à l'islam importé » (L'Harmattan, octobre 2014, Paris).
Illustration: Caïd Essebsi et le chef du gouvernement désigné Habib Essid.
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