La mobilisation républicaine pour la défense de la liberté doit continuer, gare à la montée de l'islamophobie, un vrai danger que doit affronter la société française.

Par Hédi Chenchabi*

Les grandes mobilisations actuelles en France traduisent à la fois la volonté du peuple français de consacrer les valeurs universelles de la République mais aussi des enjeux, des débats et des prises de positions qui ne doivent pas éluder la question centrale du rapport aux immigrés, aux musulmans en France, touchés directement par la stigmatisation, les amalgames entretenues et largement médiatisés.

Les Tunisiens, comme les autres immigrés venus du Sud, sont touchés par le terrorisme dans leur pays d'origine et menacés ainsi que leurs enfants par la propagation de cette dérive sectaire et cet Islam obscurantiste.

Quels sont les enjeux de ce débat, quelles sont les causes et les raisons d'une montée des idées racistes et nauséabondes.

L'hypocrisie face aux financeurs du terrorisme

Notre indignation est totale face à la barbarie terroriste, face à cet assassinat politique d'un journal, de journalistes, d'hommes et de femmes de diverses origines ethniques, musulmans, juifs, athées...

Nous pleurons tous ces morts, avec la même tristesse et nous ne pouvons accepter une hiérarchie parmi les victimes de cet acte islamo-fasciste.

Mobilisés pour les libertés publiques, la liberté d'expression et de création, ici et à travers le monde, nous ne comprenons pas l'hypocrisie face aux financeurs de ces groupes ou individus, face à des stratégies de destruction de pays arabes et musulmans, conduites par l'Arabie Saoudite, le Qatar, la Turquie..., pour fomenter les troubles, semer la division et mettre en place un ordre moyenâgeux et rétrograde, un système d'oppression des femmes, des créateurs, hostile à l'installation de régimes démocratiques et ouverts au monde et à l'universalité.

Face aux ennemis de la liberté de la presse, de vivre, de créer et d'écrire, nous pensons qu'il faut mener le combat en permanence, ici en France mais aussi partout dans le monde. Il est question d'œuvrer pour la défense de valeurs universelles, et pour un combat des démocrates partout où ils se trouvent.

Face à l'obscurantisme, aux fanatismes, à la violence, à tous les intégrismes et au rejet de l'autre, nous devons tous et toutes nous mobiliser pour défendre la liberté d'expression et l'esprit critique.

Combattre plus que jamais l'islamophobie

C'est dans le cadre d'un Etat de droits que doivent agir les forces de l'ordre. Nous rejetons tout amalgame et stigmatisation, et nous refusons que l'islam et les musulmans soient jetés en pâture dans les médias et auprès de l'opinion publique.

Dans un contexte hostile, nous devons combattre plus que jamais l'islamophobie et toutes ces idées et expressions politiques nauséabondes qui prospèrent, sans aucune gêne, et qui font de l'immigration, des quartiers de la diversité et des musulmans les cibles privilégiées d'un discours de haine et de rejet.

La marche républicaine du dimanche 11 janvier 2015 a montré cette diversité à laquelle nous sommes tant attaché(e)s; elle ne doit pas être la mobilisation d'un jour, au service d'une seule cause ou d'une communauté; elle ne doit pas être le prétexte à la mise en place de politiques répressives ciblant une partie de la communauté nationale, ni l'occasion pour installer un Patriot-Act même à la Française, mais l'annonce d'un combat de la France que nous aimons contre l'obscurantisme et tous les porteurs de discours de haine et de discrimination à l'encontre de l'une ou l'autre des composantes de la France plurielle.

Les musulmans de France, leurs enfants ne doivent pas payer la note d'un pays en crise; ils ne doivent pas être la cible de discours stigmatisant et injuste y compris au nom de l'unité nationale.

Réinventer le vivre ensemble.

L'émotion ne suffit pas, nous devons nous rassembler au nom des principes de la République pour tous, de valeurs réellement partagées. Ceci passe par l'envoi des mêmes signaux d'égalité de traitement à toutes les composantes de notre peuple. Nous devons être critiques et agir, pas seulement pour notre propre sort mais, dans la recherche de l'intérêt commun.

Un autre regard sur l'immigration

La société civile, dont l'immigration est partie prenante, se doit de s'emparer de ce débat qui agite la société et accentue les clivages, aidé par le traitement médiatique inégal et orienté.

Nous devons tous, quelles que soient nos appartenances, tenir compte de l'urgence de porter un autre regard sur l'immigration, sur les quartiers et sur les musulmans dans leur diversité. Ces femmes et ces hommes veulent faire partie, sans mépris ni condescendance, de l'espace public et de la République laïque, fraternelle pour tous. Ils et elles revendiquent, depuis plusieurs décennies, leur appartenance à ce pays; ils doivent être traités d'égal-à-égal dans les débats, dans les médias et refusent définitivement que certains continuent à les traiter comme des citoyens de seconde zone. Jusqu'à quand le traitement négatif et différencié va-t-il dominer le rapport à ces Français à part entière?

Nous refusons, en mémoire de ceux qui ont été assassinés pour leurs idées, pour leurs pensées, que d'aucuns continuent à s'ériger en maître à penser, à parler en notre nom, car nombreux sont ceux qui combattent, depuis longtemps, ces fous de dieu qui instrumentalisent l'islam et diffusent une vision de mort en assassinant des femmes, des enfants, des journalistes et des minorités ethniques au nom de principes qui n'ont rien à voir avec un Islam de paix et de tolérance.

Cette mobilisation doit continuer, mais nous devons être vigilants face à la montée de l'islamophobie, un vrai danger que doit affronter la société française. C'est une des formes principales des discriminations, des racismes et de la xénophobie dans les quartiers et dans le traitement médiatique qui s'étend partout en France et en Europe.

L'instrumentalisation de la peur de l'immigré, du musulman et des minorités s'accompagne d'une lepénisation des esprits et d'une promotion de discours et de livres de haine et de violence idéologique et politique. Ce déchainement médiatique nauséabond alimente une idéologie sécuritaire et participe à l'instrumentalisation du terrorisme.

Le choc de l'émotion ne doit pas brouiller l'horizon. Nous ne pouvons pas accepter l'instrumentalisation de jihadistes minoritaires en France pour condamner une majorité de musulmans à se taire ou à s'aligner derrière ces pensées de morts, de viols et d'exclusion.

Combat contre l'obscurantisme et pour l'inclusion

Le piège tendu par les islamophobes et l'extrême droite doit être déjoué. Nous ne devons pas accepter, au nom de l'unité nationale, qu'on assigne les minorités à distance des valeurs de la République; nous n'acceptons pas la marginalisation des quartiers, des musulmans qui sont aussi eux-mêmes les principales victimes de ce terrorisme islamiste, financé par des pays exportateurs de violence avec qui nous continuons à faire affaire. Et ce, dans l'absence de toutes normes et considérations politiques. Notre pays doit couper la source de ce financement trouble et hostile, il doit laisser la place à un islam de France autonome, en phase avec les valeurs de la République.

C'est vers cet enjeu que la société française doit arriver pour enraciner réellement le «Vivre ensemble» et l'égalité tant recherchée par des minorités depuis plusieurs décennies. Parce que nous voulons vivre ensemble, comme l'ont démontré ces manifestations autour de la défense de la liberté d'expression, nous devons, quelles que soient nos origines, nous donner des objectifs communs pour la garantie de la paix, de l'égalité, de la liberté et de la fraternité.

Notre combat contre l'obscurantisme, le terrorisme islamiste et l'idéologie raciste et le rejet de l'autre ne doit pas cesser; il ne concerne pas que l'Hexagone, il est planétaire et gangrène nos sociétés au sud de la Méditerranée.

La République que nous voulons est celle de l'inclusion dans laquelle chacun peut, sans distinction, trouver sa place. Notre mobilisation doit continuer pour la défense de nos valeurs.

* Militant politique et associatif franco-tunisien.

Reportage photos de Abdellatif Ben Salem

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