«Allahou Akbar! Allahou Akbar»: belle et puissante prière... dans la bouche d'un assassin! Quelle supercherie! Quelle effroyable injure! Quel affront fait à Allah et à l'islam!
Par Fawzi Mellah*
Je lis rarement ''Charlie Hebdo''. Je n'aime ni son humour potache ni son esprit laïcart. Typiquement français, il s'inscrit dans cette vieille tradition anticléricale qui a fait les beaux jours du XIXe siècle à Paris.
Je n'ai jamais aimé ''Charlie Hebdo''; pourtant, aujourd'hui, je suis Charlie!
Sans réserve ni condition.
Comment ne pas être Charlie?
Comme ces millions d'hommes et de femmes qui ont manifesté dimanche 11 janvier 2014 leur refus de l'intolérance, je me sens plus que jamais proche des journalistes qui ont payé de leur vie leur attachement à la liberté. Fiers et indépendants, ils avaient une certaine idée de l'homme... La même que celle qui a fait sortir dans les rues il y a quatre ans les rebelles de Tunis, le Caire, Benghazi, Damas...
Par conséquent, à ces imbéciles qui ont crié dimanche «je ne suis pas Charlie», je veux rappeler que l'on ne peut saluer les enfants du «Printemps arabe» et se laver les mains du sort de Cabu, Wolinsky, Charb...
Ces professionnels de l'irrévérence étaient des frères; ils menaient le même combat que les rebelles arabes; ils étaient mus par le même idéal. Sans eux, notre monde est un peu plus froid et plus gris. Il faut donc saluer leur mémoire et déplorer l'immense perte que leur absence nous cause déjà.
En s'attaquant sauvagement à des journalistes, des citoyens juifs, des policiers, les assassins criaient la même prière que celle que prononcent tous les jours, paisiblement, des millions de musulmans : «Allahou Akbar! Allahou Akbar» dans la bouche d'un assassin! Quelle supercherie! Quelle effroyable injure! Quel affront fait à Allah et à l'islam!
Ces criminels d'un autre âge savaient certes ce qu'ils faisaient mais ils ignoraient profondément le sens même des paroles qu'ils jetaient à la face de leurs victimes! «Allahou Akbar!» Dieu est plus grand! Plus grand que nous! Plus haut! Le seul capable de faire et de défaire! Belle et puissante, cette prière, répétée mille fois par jour, de la plus petite à la plus grande occasion, n'a d'autre sens que de rappeler au croyant sa place toute relative dans l'univers. Elle l'invite donc à l'humilité. Elle l'incite à bien mesurer ses actes et à être modeste et patient. C'est exactement l'inverse que ces fous ont entrepris! Assassiner en prononçant cette prière, c'est ajouter de l'ignominie au crime, de la bêtise à la cruauté. Non, en vérité, ces fous n'ont pas tué que des innocents; ils ont fait pire – si c'est possible! – ils ont attenté au Dieu qu'ils imploraient; ils ont sali la religion qu'ils invoquaient.
Les musulmans ne peuvent que les maudire d'avoir mêlé le nom d'Allah à un forfait innommable.
Pourquoi la France?
Reste tout de même une question grave et complexe: elle concerne la France et ses musulmans.
Quelle que soit leur folie, quel que soit le dégoût qu'ils nous inspirent, ces assassins ne sont pas tombés du ciel. Ils sont français. Nés et élevés en France. Ils ont fréquenté des écoles françaises. Ils ont séjourné dans des prisons françaises. Leurs parents, leurs amis, leurs collègues vivent et travaillent en France.
D'où vient alors l'incroyable ressentiment que les Kelkal, les Merah, les Kouachi et les milliers d'autres jeunes français d'origine arabe éprouvent contre leur propre pays? De quelle rage bouillonnent-ils au point de porter les armes contre leurs compatriotes et semer la terreur jusqu'à dans leur propre famille? Qu'a fait (ou n'a pas fait) la France pour jeter ainsi ses propres enfants dans le crime et la désespérance? Malgré le deuil et bien au-delà de la ferveur des manifestations du dimanche 11 janvier 2015, la France ne pourra plus faire l'économie de cet examen de conscience. Elle a si souvent reporté le débat que la bombe à retardement a fini par exploser.
* Ecrivain.
{flike}