Dans un long commentaire sur le ''Wall Street Journal'' ('WSJ'), Rached Ghannouchi se fait l'avocat des islamistes et plaide pour une aide à la jeune démocratie tunisienne.
Par Moncef Dhambri
Sous le titre «La Tunisie et sa voie périlleuse de la liberté» ('Tunisia's Perilous Path to Freedom'), le président du parti islamiste Ennahdha avertit que «pour que la jeune démocratie tunisienne puisse survivre, nous avons besoin de l'assistance de l'Europe et des autres alliés».
Ainsi, pour la énième fois, le ''WSJ'', le quotidien américain économique et financier le plus lu au monde(1), ouvre ses colonnes à Ghannouchi pour qu'il présente ses opinions d'«islamo-démocrate», qu'il fasse accepter auprès des décideurs occidentaux la thèse selon laquelle l'islam «modéré» nahdhaoui et démocratie font bon ménage et pour qu'une nouvelle chance soit accordée aux islamistes tunisiens de réussir là où d'autres révolutionnaires du Printemps arabe ont échoué.
La démarche «consensuelle» d'Ennahdha
En somme, le choix de publier cette analyse de Ghannouchi n'est pas innocent: cette réflexion du gourou de Montplaisir tombe à point nommé car elle intervient au moment crucial où les tractations de la formation du premier gouvernement de la Deuxième République de Tunisie vont bon train.
Ce timing presque parfait de la publication de cet article indique clairement l'intention des islamistes de ne pas rester hors du jeu politique tunisien, de faire monter la pression sur le chef du gouvernement désigné Habib Essid et de donner raison à l'idée que les alliés occidentaux de la Tunisie sont favorables à une nouvelle participation d'Ennahdha au pouvoir.
Le président d'Ennahdha dresse, dans cette réflexion, le bilan des 4 années de la Révolution et s'attarde longuement sur la manière dont le mouvement islamiste a cédé volontairement, en janvier 2014, le pouvoir à un gouvernement de technocrates, «afin, explique-t-il, de sauvegarder la transition démocratique et d'ouvrir la voie à la tenue des élections législatives libres d'octobre dernier».
Pour lui, les résultats du scrutin parlementaire n'ont nullement été un désaveu de l'incompétence et des erreurs des Troïkas 1 et 2 (ex-gouvernements de coalition dominés par les islamistes), puisqu'Ennahdha se trouve placé en bonne position de seconde formation politique dans la nouvelle Chambre des représentants du peuple (ARP) – «pas loin derrière Nidaa Tounes», se plait-il d'insister. Et, en bons démocrates, les Nahdhaouis, ajoute-t-il, «ont accepté le verdict des urnes, félicité les vainqueurs et réitéré leur appel à la coopération de toutes les parties».
Et Rached Ghannouchi de servir aux lecteurs du ''WSJ'' son plat réchauffé de la démarche «consensuelle» d'Ennahdha et les sacrifices consentis par le mouvement islamiste pour épargner au pays une douloureuse polarisation politique car, selon lui, «la domination du parti unique est synonyme de retour du régime autoritaire dont les Tunisiens ont souffert pendant trois longues décennies».
«Notre pays, avise-t-il, a aujourd'hui besoin d'un gouvernement fort qui doit être soutenu par le plus grand nombre possible des formations politiques importantes, pour qu'il puisse faire face et résoudre les énormes problèmes auxquels le pays se trouve aujourd'hui confronté».
Aidez la Tunisie, Dieu vous aidera !
Le reste du raisonnement de Ghannouchi est facile à deviner: pour lui, «l'Europe peut jouer un rôle crucial dans le soutien des avancées que la Tunisie a réalisées et la promotion de notre expérience exemplaire». Et le président d'Ennahdha d'étaler son libéralisme économique simpliste et de démontrer la logique implacable qui lie le sort de l'Europe et de l'Occident au destin de la Tunisie: «l'augmentation des investissements directs étrangers et des échanges commerciaux peut créer des emplois qualifiés qui génèreront la stabilité sociale tant souhaitée par notre peuple. Elle pourra renforcer notre société et réduire ainsi l'attrait des groupes extrémistes. Par voie de conséquence, également, cette nouvelle dynamique ouvrira aux entreprises européennes opérant en Tunisie toutes grandes les portes du continent africain. La combinaison d'une plus grande sécurité et d'une croissance des affaires dans la région ne peut avoir que des incidences positives sur la Tunisie, l'Europe (...) sur la région toute entière et bien au-delà», enchaîne-t-il.
Nidaa Tounes, Béji Caïd Essebsi et Habib Essid, l'opinion publique tunisienne, la communauté internationale et les chancelleries occidentales savent à présent à quoi s'en tenir. Ghannouchi explique à ceux qui veulent l'entendre et ceux qui refusent de le faire que, pour que la transition démocratique tunisienne soit véritablement une success story du Printemps arabe, Ennahdha devra toujours compter – il devra avoir son mot à dire...
Serait-ce une menace? Allez donc savoir!
Note:
(1) Le quotidien 'WSJ', publié du lundi au samedi, a un tirage aux États-Unis de près d'1,7 million d'exemplaires. Son lectorat représente près de 3 millions de lecteurs et son site web www.wsj.com est le plus grand site des affaires au monde, avec plus de 1,2 million d'abonnés payants.
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