Nidaa Tounes doit se réveiller, renvoyer Ennahdha à ses chimères et cesser de rêver de solutions qui lui permettraient de diriger un pays... sans opposition, car ça n'existe pas.
Par Dhafer Charrad *
Le mouvement Nidaa Tounes a gagné les législatives suite à une rude bataille contre Ennahdha et son président, Béji Caïd Essebsi, a gagné la présidentielle malgré l'appui inconditionnel d'Ennahdha à son concurrent, Moncef Marzouki. De ce fait, il ne doit rien au parti islamiste, qui s'est opposé farouchement à lui et à son président.
Comme dans un combat de boxe, que la victoire soit aux points ou par KO, il y a un seul vainqueur et c'est à lui seul que sont décernés les lauriers.
Les ambitions d'Ennahdha sont infondées
Par conséquent, la double victoire de Nidaa Tounes l'autorise à cumuler les 3 présidences et tous les ministères, s'il le veut et si c'est son choix, et il n'a donc aucune obligation de faire participer ses plus âpres adversaires au prochain gouvernement.
Nidaa Tounes n'a pas à faire profil bas et à presque s'excuser d'avoir gagné les législatives et la présidentielle. Le fait d'avoir appuyé le vice-président d'Ennahdha, Abdelfattah Mourou, pour la vice- présidence de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) et d'avoir abandonné la présidence du gouvernement à un indépendant, Habib Essid, devraient constituer des concessions suffisantes au bonheur d'Ennahdha et interdire au parti islamiste de demander toujours davantage.
Quand, suite aux élections du 23 octobre 2011, Ennahdha avait pris les rênes du pouvoir et décidé de diriger seul le pays, ou, plutôt, avec deux comparses pour faire de la figuration (Congrès pour la république et Ettakatol), il avait normalement et logiquement choisi et placé les meilleurs éléments dont il dispose aux postes de responsabilité, laissant des cacahuètes à ses soi-disant alliés, avec les résultats désastreux que l'on sait, à tous les niveaux: économique, social et sécuritaire.
Il est tout à fait légitime qu'Ennahdha soit ambitieux et qu'il fasse tout pour participer au prochain gouvernement, mais il faut qu'un jour ou l'autre, il revienne à la raison et accepte dignement le sort du vaincu.
Il faut penser uniquement à l'intérêt du pays qui a besoin de ses meilleures compétences pour le diriger et laisser les vainqueurs faire leur preuve et assumer leurs responsabilités, sans leur mettre les bâtons dans les roues, et à moins qu'Ennahdha n'ait bizarrement gardé bien au chaud, sans les utiliser pendant 3 ans, de véritables génies, capables de mieux gérer le pays, je ne vois pas qui ce parti compte proposer pour contribuer au redressement impératif du pays, dans le cadre du prochain gouvernement.
Le mieux pour Ennahdha est d'être réaliste, de négocier plutôt les programmes en cherchant à inclure les points qu'elle juge essentiels dans l'action du prochain gouvernement, de se placer en réserve de la république, dans la position d'une opposition sérieuse et positive, et de constituer, au sein du parlement, une force de proposition, volontaire et constructive, pour l'unique intérêt du pays.
Ce n'est qu'ainsi qu'Ennahdha pourra fourbir ses armes, faire son vrai apprentissage, faire oublier sa gestion calamiteuse du pays, soigner son image de parti essentiellement idéologique et incapable de diriger un pays, et qu'il convaincra les Tunisiens de ses réelles bonnes intentions et de ses véritables capacités.
La place d'Ennahdha est dans l'opposition
Cette posture sera pour Ennahdha beaucoup plus intéressante, que de postuler, dans l'immédiat, à un, deux ou même trois portefeuilles ministériels dans le prochain gouvernement. Son insistance pour y participer, et surtout son désir louche de voir les ministères régaliens (Intérieur, Justice, Affaires étrangères et Défense) confiés à des personnalités indépendantes, sont mal perçus et cachent mal une volonté évidente de nuire à Nidaa Tounes en le fragilisant et provoquant sa son éclatement.
Tous ceux qui ont voté pour Nidaa Tounes ont en réalité voté contre Ennahdha et ils auraient voté aussi massivement pour El-Massar ou le Front populaire ou Afek Tounes ou même le parti Culture et travail de Mohamed Fatnassi, s'ils les pensaient capable de battre Ennahdha.
De même, une majorité des grands dirigeants influents de Nidaa Tounes sont radicalement opposés à une participation d'Ennahdha à la gestion du pays, même si c'est à travers des ministères de faible importance et sans impact significatif et direct sur le quotidien des Tunisiens.
Béji Caid Essebsi et Nidaa Tounes, avaient, par ailleurs, promis de redorer l'image du pays, d'assurer paix, sécurité et justice, et surtout de dévoiler aux Tunisiens la vérité concernant les assassinats politiques et le terrorisme; et ce n'est pas en cédant les ministères régaliens qu'ils pourront tenir quelques unes de leur promesses les plus importantes.
Nidaa Tounes doit, aujourd'hui, se rebiffer et reprendre le taureau par les cornes. Il doit agir en vrai grand vainqueur des dernières élections et assumer sa victoire en faisant face à ses responsabilités, en se montrant ferme et intransigeant, en ne décevant pas ses partisans qui lui ont permis de vaincre, et en ne mettant pas en danger la cohésion de ses dirigeants qui font sa force.
Il doit annoncer au plus vite et avec courage les décisions que tous ses partisans attendent et notamment celles concernant la participation d'Ennahdha au gouvernement et les ministères régaliens, quitte à fâcher Ennahdha et à le renvoyer dans l'opposition.
Ce n'est tout de même pas Ennahdha et son Majliss Choura qui vont décider à la place de Nidaa Tounes! Si le parti islamiste décide de se placer dans l'opposition, parce ce que ses demandes n'ont pas été satisfaites, et bien tant pis pour lui, qu'il fasse partie de l'opposition, ce n'est pas grave du tout et c'est même la règle dans toute démocratie!
Le peuple tunisien, la société civile, les médias et les partis dévoués à la Tunisie et voulant son bien, qui ne manqueront pas de critiquer, de contrôler et de surveiller chaque action et chaque décision du prochain gouvernement, sauront en même temps contrôler, surveiller et faire face à une toute éventuelle opposition qui cherchera à nuire au pays et à entraver gratuitement le travail du prochain gouvernement.
Nidaa Tounes doit se réveiller et cesser de rêver d'inventer des solutions qui lui permettraient de diriger un pays sans opposition, ça n'existe pas et si ça existait, d'autres démocraties plus anciennes que la notre, les auraient trouvées.
A bons entendeurs...
* Diplômé en Sciences économiques et Planification.
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