La Tunisie est dans l'obligation d'installer un gouvernent avec un large consensus et capable de sortir le pays de la crise économique et de lui éviter le chaos.
Par Lyes Ben Tara*
Après la double victoire de Nidaa Tounes aux élections, certains électeurs naïfs ont pensé que le parti vainqueur était capable d'écarter le parti islamiste Ennahdha définitivement du pouvoir et même de la scène politique. La vérité est tout autre, et, comme on le sait, les promesses électorales n'engagent que ceux qui y croient.
Rappelons d'abord que Nidaa Tounes est un jeune parti. Créé en juin 2012, il est composé de plusieurs courants politiques divergents, mais tire son apparente homogénéité du seul leadership de son fondateur Béji Caid Essebsi.
De plus, le vote utile – pour barrer la route à Ennahdha –, qui a propulsé ce parti au sommet de la scène politique, a fragilisé ses vrais alliés, comme El-Massar et Al-Moubadara, qui pouvaient appuyer le gouvernement «nidaiste» d'une manière responsable et constructive.
Un gouvernement avec ou sans Ennahdha
Le scénario du gouvernement élargi sans Ennahdha, défendu par la majorité des électeurs, s'est avéré une mission impossible à cause des partis «opportunistes», «irresponsables» et/ou «gourmands». Et le Premier ministre désigné Habib Essid sait pertinemment que, sans l'appui d'Ennahdha, son gouvernement ne pourrait pas obtenir le vote de confiance. Mais il est face à un double dilemme: intégrer Ennahdha et d'autres partis qui ne lui sont pas hostiles, ou écarter Ennahdha et tomber dans le piège des tractations politiques pour collecter les 109 voix nécessaires au vote de confiance à l'Assemblée des représentants du peuple (ARP).
La première stratégie est risquée, puisque la crédibilité du parti vainqueur serait menacée et qu'il y a les municipales à préparer. Mais en justifiant, par un nécessaire consensus national, la présence d'Ennahdha au sein d'un gouvernement élargi, Nidaa Tounes pourrait cohabiter avec le parti islamiste et lui offrir un cadeau empoisonné, celui d'être responsable des choix imposés par Nidaa Tounes et de ne pouvoir critiquer le programme d'un gouvernement auquel il a accordé son vote de confiance.
Ce scénario accorde au gouvernement une majorité confortable à l'ARP, lui permettant de mettre en route les réformes structurelles urgentes, plus douloureuses et impopulaires les unes que les autres.
La seconde stratégie, adoptée dans la composition de la première mouture du gouvernement, est suicidaire, puisque M. Essid est face à plusieurs formations politiques (Nidaa Tounes, Afek Tounes, UPL, Al-Moubadara, Front Populaire) et quelques indépendants, et ne peut, en au cas, satisfaire tout le monde à la fois, tout en barrant la route à Ennahdha.
Sortir le pays de la crise
Posons-nous, maintenant, quelques questions... Est-ce que M. Essid est capable de former un nouveau gouvernement sans Ennahdha? Comment peut-il obtenir l'appui d'Ennahdha sans l'intégrer au gouvernement? Est-ce que Nidaa Tounes est capable de gérer la crise interne que provoquerait cette intégration? Quelles sont les conséquences d'un autre échec de M. Essid?
La révision du gouvernement Essid dépend, dans une large mesure, des réponses qui seront données à ces questions. Mais aussi de l'urgence de mettre en place un gouvernement capable de lancer des réformes et de faire promulguer des lois urgentes, relatives notamment la Loi de finances complémentaire, au code des investissements, au partenariat public-privé, aux énergies renouvelables, à la recapitalisation des banques publiques, à la gestion ou cession des entreprises confisquées (mal gérées depuis 2011), etc.
La Tunisie est à la croisée des chemins. Elle est dans l'obligation d'installer un gouvernement avec un large consensus et surtout capable de sortir le pays de la crise économique, sinon nous allons vivre une crise économique et sociale violente qui débouchera sur le désordre et le chaos.
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