Habib Essid Banniere

Par Mohamed Rebaï*

La sonnette d'alarme a été tirée depuis au moins deux ans sur l'économie chancelante du pays qui se dégrade de jour en jour sans que les politiques pusillanimes, plutôt enclins à l'appât du gain, ne s'en mêlent.

Tous les indicateurs sont au rouge. Dans peu de temps, la Tunisie, sans programme de sauvetage par la reprise du travail, pourrait redevenir un pays sous-développé à tous les niveaux et sans aucun repère. L'Etat providence, amorphe et aphone, c'est comme un chef de famille qui s'endette pour nourrir ses enfants qui ne produisent rien et cassent tout...

Un taux d'intérêt usurier

La Tunisie vient de conclure, le mardi 27 janvier 2015, une émission obligataire sur le marché international des capitaux de 1 milliard de dollars américains. Si le taux nominal de l'emprunt obligataire (5,75%) a été divulgué, rien n'a filtré au sujet des annuités, des primes d'émission ou de remboursement et du taux effectif global (TEG). Calculé à partir des caractéristiques d'un prêt, ce taux incorpore tous les éléments relatifs au coût du prêt (taux d'intérêt, coût de l'assurance, frais de dossier, timbres fiscaux...). Le taux d'intérêt du marché est celui que les obligations requièrent pour se couvrir des risques qu'ils prennent.

Si on ajoute à ce TEG le taux d'inflation, qui tourne autour de 6%, et celui du glissement continu du dinar par rapport au dollar (18% en 2014), cet emprunt va revenir à la Tunisie à un taux prohibitif de 30% au moins.

D'après les autorités monétaires du pays, ce montant sera consacré au financement du déficit budgétaire estimé à 7,5 milliards de dinars.

Les agences de notation internationales maintiennent la Tunisie dans une perspective négative et il est tout-à-fait normal que le taux d'intérêt pratiqué sur cet emprunt obligataire soit jugé trop élevé. A titre de comparaison, le Maroc vient de lancer un emprunt obligataire sur le marché financier international d'un montant de 1 milliard d'euros d'une maturité de 10 ans avec un taux d'intérêt de seulement 3,5%. Mais c'est mieux que la Grèce, qui emprunte au marché secondaire à plus que 10%.

Tous les indicateurs sont au rouge

Quoi qu'on fasse, la plupart des indicateurs sont au rouge: Le déficit commercial va certainement frôler la barre de 14 MDT (2014). Le taux de couverture va passer de 70 à 66%. Des dettes publiques supérieures aux dépenses d'investissement. Autrement dit, la différence serait allouée aux dépenses non productives, notamment les salaires et les subventions ce qui va accentuer davantage l'inflation. Un taux de croissance inférieur au taux de croissance potentiel. Absence d'investissements directs étrangers (IDE) qui nous englue dans la récession. Un chômage endémique datant d'avant la révolution (17,6% et 40% pour les jeunes). Des banques en quête de regroupement ou de recapitalisation en raison des actifs accrochés (créances irrécouvrables). Un tourisme de masse bas de gamme qui semble majoritairement s'orienter autour de séjours balnéaires. Des entreprises étatiques encombrées et déficitaires. Une agriculture irrationnelle et primaire à la recherche d'un second souffle. Une administration fiscale sclérosée et rétive à la réforme. Un enseignement qui n'accroche pas une ascension sociale et qui reste à refonder. Une contrebande tentaculaire qui décime le commerce légal et prive l'état d'importantes ressources...

Bref, on ne voit pas la lumière au bout du tunnel pour l'instant. On ne voit que des technocrates biberonnés qui trustent les postes au cœur de l'Etat avant de partir «pantoufler» dans le privé avec une jolie carte de visite «ex-ministre». Seuls les politiques ont la redoutable responsabilité de l'action.

Un déficit budgétaire alarmant

Nous pensons qu'avec une pléthore d'employés dans l'administration au point de bouffer 35% du budget de l'État (10.555 MD, contre «seulement» 6.785 MD en 2010), nous n'avons pas d'autres choix pertinents que de recourir urgemment au marché financier international pour lever les fonds nécessaires aux dépenses courantes.

Le reste où le trouver? Difficile de se prononcer, tant que les réformes structurelles demandées par nos bailleurs de fonds traditionnels (Bird, BAD, FMI ...) n'ont pas été réalisées à ce jour. Dans ce cas, le budget de l'État pourrait connaitre un déficit de l'ordre de 25% du budget total de l'État, soit 15,3% du PIB.

Bien qu'il soit structurel et régulier, le déficit du budget de l'État tunisien n'a jamais atteint de tels niveaux inquiétants. Il est à rappeler que les dépenses (salaires, subventions, services de la dette) en accaparent, plus de 64%.

Penser à d'autres alternatives

Espérons que notre prochain gouvernement aura l'intelligence de faire appel à l'emprunt national, à l'épargne publique et à la bourse avant d'aller s'endetter à l'étranger.

C'est triste, la Tunisie s'endette pour injecter de l'argent dans le fond de compensation et pour payer les salaires de ses employés mais pas pour créer de l'emploi et de la richesse.

D'ailleurs, on se demande où est passé le prêt FMI de 1,75 milliards de dollars qui n'a pas été débloqué en son temps excepté une première tranche de 500 millions de dollars?

Dans cet ordre d'idées, il convient de trouver des solutions définitives aux crédits «odieux» ayant profité à la famille de Ben Ali, arrêter de payer les échéances de 2014 ou négocier un rééchelonnement adéquat, convertir certaines dettes dans des projets communs, histoire d'alléger le poids de la dette (52% du PIB) et faire redémarrer l'emploi. Et certains préféreraient y échapper entièrement pourquoi pas ? D'ailleurs en Grèce, qui a un taux d'endettement de 120% par rapport au PIB, le pourfendeur de la dette odieuse devient ministre des Finances.

Les Etats-Unis ont également un ratio élevé de 180%, mais ils ont une grande machine productive capable de rembourser.

En Tunisie ce n'est pas le cas parce que la population, qui n'est plus productive, revendique sans cesse des augmentations de salaires et des primes de productivité!

Redorer son blason au travail

Le pays est au bord de la déflation c'est-à-dire de l'anémie productive et du chômage redoublé.

Malgré ce cumul d'irrégularités, je suis certain que nous sommes capables de saisir toutes les cordes qui sont à notre portée pour sortir de l'ornière où nous pataugeons. Nous possédons des atouts non négligeables mais il faut aussi qu'on se remette au travail et c'est primordial.

Actuellement, il n' y a plus personne qui travaille correctement. Ce que nous planifions pour cinq ans est réalisable dans une année si chacun y met du sien pour combattre la lenteur qui nous ronge et nous dévore.

Revenir à l'équilibre budgétaire et doper la production, l'affaire reste jouable immédiatement.

* Economiste.

Illustration: Le Premier ministre désigné Habib Essid sait l'ampleur de la tâche qui l'attend.

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