Déçus, les Nidaistes anonymes, qui sont la vraie force de Nidaa Tounes, vont mettre la pression sur un gouvernement qui n'a pas, à leurs yeux, de préjugés favorables.
Par Dhafer Charrad*
Les Nidaistes anonymes sont tous les citoyens et, surtout, les citoyennes qui ont agi en dehors des structures de Nidaa Tounes, tout fait pour que Béji Caid Essebsi et son parti gagnent les élections et y ont magistralement réussi: ils se sont investis à fond et ont fait leur propre compagne électorale. Ils ont parlé et convaincu leur entourage. Ils sont descendus dans la rue quand il le fallait, ont rédigé des tribunes enflammées pour haranguer et encourager les réticents et les indécis et finalement envahi les bureaux de vote pour achever leur œuvre et permettre la consécration de Nidaa Tounes sur les deux fronts, des législatives et de la présidentielle.
Des espoirs déçus, des attentes insatisfaites
Ces Nidaistes anonymes, qui constituent la vraie force de Nidaa Tounes, ne demandaient aucune contrepartie mais défendaient simplement et, surtout en toute confiance, le projet que représentait pour eux ce parti, qu'il prenait pour le sauveur de la Tunisie.
Ils ont cru Béji Caid Essebsi sur parole, quand il leur a déclaré que Nidaa Tounes ne s'alliera qu'avec ceux qui lui ressemblent, qu'il avait suffisamment de compétences pour composer 4 gouvernements et qu'aucune force intérieure ou extérieure ne pouvait l'influencer et lui dicter ce qu'il avait à faire.
Ces Nidaistes anonymes comptent dans leurs rangs de nombreux sympathisants d'un très haut niveau intellectuel et d'un sens affuté de la politique et sont capables, avec intelligence et lucidité, de comprendre, d'analyser et d'anticiper les faits et les événements politiques.
Ces Nidaistes anonymes, qui ont l'énorme avantage d'être totalement désintéressés, n'ont rien à envier aux stratèges politiques officiels de Béji Caid Essebsi et de Nidaa Tounes, en matière de choix, d'analyses et d'idées politiques, et ce n'est pas parce que ces stratèges officiels ont fait de la politique leur métier et leur gagne-pain qu'ils doivent se considérer plus intelligents ou meilleurs visionnaires que les anonymes.
Depuis octobre 2014 et l'annonce des résultats des législatives, Nidaa Tounes savait déjà qui allait appuyer Béji Caid Essebsi pour la présidentielle et qui allait s'y opposer, ce qui signifie qu'il avait toutes les données et tout le temps nécessaires pour engager les discussions avec ses partenaires naturels et pour préparer les grandes lignes d'un gouvernement de Nidaa Tounes, conformément aux attentes des Nidaistes.
Ceci aurait permis aux ministres potentiels de gagner beaucoup de temps en commençant très tôt à réfléchir et à disséquer les dossiers et les chantiers de leur futur ministère et à préparer, dans les détails, leurs programmes de travail et leurs plans d'action.
Ce qui n'a pas été fait
Les Nidaistes anonymes ne demandaient pas l'impossible mais voulaient simplement voir:
- le Béji Caid Essebsi gai, jovial et confiant, qui égayait la foule par ses discours à la fois sérieux et drôles, et, surtout, pleins de messages forts au lieu de l'image triste, monotone et hésitante qu'il nous présente depuis qu'il a prêté serment et pris ses quartiers à Carthage;
- Nidaa Tounes assumer ses pleines responsabilités en tant que parti vainqueur, choisi pour gouverner le pays;
- un gouvernement majoritairement composé des compétences de Nidaa Tounes et conduit par un Premier ministre issu de ce parti, conformément à la constitution;
- des ministres de l'Intérieur et de la Justice issus de Nidaa Tounes pour être rassurés quant la réelle volonté du gouvernement d'élucider les énigmes des assassinats politiques et de lutter avec intransigeance et sans calcul contre le terrorisme et les terroristes;
- une ministre de la Femme issue de Nidaa Tounes, en reconnaissance au million de femmes tunisiennes ayant voté pour ce parti et son président;
- le mouvement Ennahdha hors du gouvernement, pour ne pas l'entacher avec le symbole d'un échec récent et encore vif.
Les pseudos stratèges politiques de Nidaa Tounes ont pris tout le monde à contrepied en faisant des choix inattendus et incompris :
- en faisant profil bas, vis-à-vis des autres partis, laissant apparaître ainsi un manque de confiance en leurs capacités et gaspillant la confiance que leurs militants et électeurs;
- en abandonnant facilement la présidence du gouvernement et des ministères régaliens, ils pensent éviter qu'on les taxe de parti hégémonique et contrer un argument de compagne fallacieux et infondé, utilisé par Ennahdha et ses opposants, alors que le régime quasi-parlementaire choisi par l'Assemblée constituante est le seul vrai rempart contre l'hégémonie;
- en faisant participer Ennahdha au gouvernement, ils pensent assurer une majorité confortable lors du vote de confiance au gouvernement alors qu'une majorité simple de 109 voix aurait suffi autant que les 166 voix obtenues, et cela était possible avec les voix des partis apparentés à Nidaa Tounes;
- en faisant participer Ennahdha, ils pensent aussi qu'ils pourront gouverner sans opposition, mais ils déchanteront très vite et mesureront la virulence de l'opposition que constituera Ennahdha, dès que surviendra le premier vrai désaccord entre le parti islamiste et Nidaa Tounes, à moins que ce dernier n'ait décidé de satisfaire toutes les prochaines demandes et exigences de ses très improbables alliés.
Les inexplicables cadeaux à Ennahdha
Ce qui dérange vraiment les Nidaistes anonymes, c'est leur intime conviction qu'Ennahdha ne se contentera pas d'un portefeuille ministériel et de 3 secrétariats d'Etat qu'il a obtenus au gouvernement Essid, en contrepartie d'un appui durable et inconditionnel à ce gouvernement. Il faut s'attendre à l'octroi de plusieurs autres cadeaux immérités lors des prochaines nominations au sein des institutions, administrations et sociétés nationales.
En optant pour un rapprochement qui s'avérera inutile voire nuisible avec Ennahdha, Nidaa Tounes a refusé de faire face courageusement à une opposition claire, visible et à visage découvert et préféré gouverner avec une épée de Damoclès sournoise, dangereuse et pire qu'une simple opposition, suspendue au-dessus de sa tête, en tournant le dos, au passage, à la majorité de ses militants et de ses sympathisants, et en s'affaiblissant.
En sortant Ennahdha d'un statut logique et naturel d'opposant, auquel il était préparé et qu'il acceptait pourtant sans problème, Nidaa Tounes a perdu le soutien et la mobilisation de sa base militante dont il aura besoin lors des élections municipales et des prochaines manifestations et contre-manifestations sociales et partisanes, qui auront certainement lieu, à la faveur de certains événements et suite à des décisions impopulaires mais nécessaires que le gouvernement aura à prendre et qui devront être expliquées et défendues au préalable.
Aujourd'hui, le gouvernement choisi et mis en place par les stratèges de Nidaa Tounes est en place et les Nidaistes anonymes déçus sont en situation de séparation de corps et d'âme avec leur parti, mais pas encore en situation de divorce consommé.
Que faire maintenant ?
Pour le bien de leur patrie mais sûrement pas pour celui de leur parti, les Nidaistes anonymes ne doivent pas désarmer mais redoubler d'effort, rester vigilants et mettre la pression sur un gouvernement qui n'a pas de préjugés favorables:
- en poussant ce gouvernement à être hyperactif et à agir dans l'urgence avec un train de décisions rapides, justes et courageuses allant dans le sens de la relance promise du pays aux niveaux sécuritaire, économique et social;
- en empêchant le gouvernement de sombrer dans la routine et la léthargie, qu'il pourrait considérer à tort comme une période de calme car toutes les tempêtes sont précédées par des périodes de calme;
- en suivant, jour par jour, l'état d'avancement des dossiers des martyres de la Tunisie et notamment ceux de Chokri Belaid et Mohamed Brahmi, afin que la promesse personnelle ferme faite à ce sujet par Béji Caid Essebsi soit respectée;
- en veillant à une inculpation rapide, sans concession, sans calcul et sans peur, de tous ceux qui ont contribué, de près ou de loin, aux assassinats politiques et ce quelles que soient leur position et leur importance sur la scène politique ou sociale;
- en observant attentivement ce qui sera fait dans le cadre de l'assainissement du ministère de l'Intérieur et dans l'inculpation et le jugement de tous ceux qui ont contribué au développement du fléau terroriste et qui ont été laxistes envers (ou complices avec) les terroristes ;
- en décortiquant toutes les nominations dans les organes et rouages de l'Etat et en refusant celles qui se révèlent louches ou de complaisance;
- en observant ce qui sera fait pour le jugement de ceux qui ont commis des abus et réalisé des profits illicites lors du règne de la troïka car c'est la seule garantie, pour le peuple, contre la répétition de ces abus par les nouveaux gouvernants et les prochains.
A bons entendeurs...
* Diplômé en sciences économiques et planification.
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