Par son courage et son intelligence, Chokri Belaïd était trop parfait pour avoir le droit de vieillir et de mourir de mort naturelle. Il sera passé dans notre vie comme un brillant météore.
Par Jamila Ben Mustapha*
Le discours de Chokri Belaid du 23 janvier 2012, traduit de l'arabe par Abdellatif Ben Salem, dans son article sur Kapitalis (Hommage à Chokri Belaïd: Les dernières paroles d'un juste (2 sur 3), est particulièrement remarquable parce qu'il est le produit, autant de l'analyse politique, que de la culture historique et littéraire, toutes deux liées grâce à un solide esprit de synthèse.
Rares sont les hommes politiques capables de mettre en perspective un fait présent et de remonter, à partir de lui, à toute l'Histoire d'un pays, saisie, en plus, dans une de ses caractéristiques fondamentales.
L'assassinat de ce militant est non seulement celui du courage, mais aussi, de l'intelligence, et cet acte terrible est, en lui-même, une preuve supplémentaire de la justesse de son discours du 23 janvier 2012.
Il y a défini ses adversaires, en effet, comme des obscurantistes allergiques à toute pensée différente et libre, et n'ayant vis-à-vis d'elle, qu'un seul réflexe: la supprimer. En le tuant, ils n'ont fait que lui donner raison.
Chokri Belaïd, tribun hors pair, est le seul et vrai leader de la révolution du 14 janvier 2011. Il est aussi la preuve patente que la Vérité n'est pas bonne dire et qu'il y a grand danger à la révéler.
Il est l'exemple de l'association si rare dans le monde politicien, entre la perspicacité politique, la culture historique et la culture tout court.
Dans son intervention de janvier 2012, à la télévision, en quelques minutes, correspondant, sur le plan de l'écrit, à un seul texte, il a défini de la façon la plus précise, l'antagonisme qui a toujours opposé, dans l'Histoire du monde arabe, les passéistes violents, aux progressistes pacifiques.
Et preuve de cette grande culture et de ce point de vue synthétique, il a pu lier le procès fait en 2012, à la chaîne Nessma pour la diffusion du film ''Persépolis'', à toute l'histoire des persécutions de la pensée, dans le monde arabe et en Tunisie, en remontant jusqu'à Al-Hallaj et Ibn Al-Mouqaffa', sans oublier ce qu'ont subi, sur le plan local, Abou Al-Qacem Chebbi et Tahar Haddad.
Je propose que ce texte brillant, dense, capable de remonter d'un fait actuel, apparemment anodin, à toute l'histoire littéraire arabe, soit étudié dans les écoles.
Chokri Belaïd restera incontestablement, comme une des grandes figures de la Tunisie et comme un géant, de par son courage et son intelligence. Il était, en un sens, trop parfait pour avoir le droit de vieillir et de mourir de mort naturelle, et il sera passé dans notre horizon contemporain, comme un brillant météore.
* Universitaire.
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