Grève des enseignants Banniere

L'État tunisien, affaibli et dépecé par les intérêts particuliers et mesquins, pourra-t-il faire face aux menaces étrangères à venir et à celle, toujours latente, du terrorisme?

Par Mohamed Ridha Bouguerra*

 

L'Etat islamique (Daêch), menaçant, se rapproche chaque jour davantage de nos frontières sud-est.

Le terrorisme a élu, incognito, domicile parmi nous, dans nos cités et dans nos quartiers populaires et ne cesse de recruter parmi nos jeunes contraints au désœuvrement.

Nos forces de sécurité sont mobilisées, l'arme au pied, aux monts Chaambi, Samama et nos frontières ouest.
Les barons de la contrebande défient l'État et osent faire passer de force leurs camions bien chargés (de quoi, au juste?) en défonçant les portails douaniers à Ras-Jedir.

Nos concitoyens à Bousalem et à Jendouba ont eu les pieds dans l'eau durant de terribles nuits et nombreux sont parmi eux ceux qui ont tout perdu suite aux catastrophiques inondations de la semaine dernière.

Nos experts de tous bords nous font découvrir, chaque jour, de nouveaux indices de notre économie sinistrée.

Une dangereuse escalade

Pendant ce temps, le Congrès, comme l'on dit, s'amuse! Voyez l'interminable épisode de l'élection du président de la commission des finances à l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), épisode sur lequel il est, maintenant, inutile de trop s'étendre !

Les grèves à répétition dans l'enseignement appellent, par contre, encore et une fois de plus, quelques remarques.

Il serait bon de noter, tout d'abord, qu'il n'est question ici ni de mettre en cause le droit de grève, ni le droit des enseignants à de nécessaires augmentations afin qu'ils puissent rétablir, au moins, leur pouvoir d'achat fortement érodé, comme celui de plusieurs catégories sociales, d'ailleurs, après la hausse vertigineuse des prix tout au long de ces derniers mois.

Une fois cette mise au point faite, cela nous interdit-il de nous demander si le moment est vraiment opportun pour cette dangereuse escalade par laquelle le syndicat des enseignants du secondaire cherche à contraindre les autorités de tutelle à accepter ses exigences? Et cela sans que nos braves syndicalistes se soucient le moins du monde de tous les risques que le pays est en train d'affronter.

Le boycott ou report de la semaine bloquée auquel le syndicat a appelé était-il si nécessaire et urgent que Lassaâd Yacoubi, secrétaire général du syndicat de l'enseignement secondaire, ne cesse de l'affirmer? Ne parlons pas de la déception, voire de la frustration de nos élèves et de leurs parents qui, tous, se sont préparés de longue date aux échéances des examens. Demandons-nous, cependant, si feu Farhat Hached aurait donné son feu vert à cette action syndicale alors que la Tunisie chère à son cœur se trouve en train de faire face à plus d'un danger? Car ce qui menace le pays dans son ensemble épargnera-t-il demain les enseignants?

Un splendide égoïsme

Les dirigeants de l'UGTT et les cadres syndicaux sont-ils frappés d'autisme ou de surdité au point de ne pas prendre au sérieux les avis de nombreux financiers et économistes qui ne cessent à longueur de journée de tirer la sonnette d'alarme et de nous expliquer que les finances publiques sont en un si piteux état que le paiement des salaires des prochains mois risque d'être compromis?

Au lieu de taper dans le tiroir caisse des gros bonnets de la contrebande et dans les comptes en banque des professions libérales du régime forfaitaire, le gouvernement sera-t-il amené à emprunter encore et toujours afin, non de créer de nouveaux emplois et des richesses, mais de payer les traitements des fonctionnaires et les pensions de retraite?

Qui se soucie aujourd'hui des générations montantes et des dettes que nous leur léguerons et sous lesquelles elles crouleront? Splendide égoïsme quand tu nous tiens... !

A moins que M. Yacoubi ne vise, au bout du compte, qu'à faire mordre la poussière au ministre de l'Éducation nationale! Dans quel but alors?

À qui profite, finalement, l'affaiblissement continuel, depuis quatre ans, de l'autorité et du prestige de l'État?

Le corporatisme, le clanisme, l'égoïsme de larges secteurs professionnels de la société, la défense et la consolidation des privilèges acquis sont-ils devenus la règle suprême de conduite aux dépens des intérêts supérieurs de la patrie?

Après la curée des places et des honneurs par les politiciens, voici venue l'heure de la curée des revendications et autres augmentations salariales! Pauvre Tunisie devenue gibier ou butin que l'on se déchire !

Pour qui roule M. Yacoubi?

Au risque de voir tous les thuriféraires du syndicat des enseignants nous tomber dessus en nous taxant de plume vénale et mercenaire, posons la question que tout le monde se pose en ce moment: «Pour qui roule, finalement, M. Yacoubi? N'est-il, réellement mu que par les seuls intérêts matériels de ses collègues syndiqués? Par son acharnement contre les autorités de tutelle ne prépare-t-il pas, plutôt, le prochain congrès de son syndicat?»

A-t-il prévu l'anarchie qui est en train de s'installer dans certains établissements scolaires? À qui profite, finalement, cette situation critique qui risque à chaque instant d'échapper à tout contrôle?

Dans un débat d'idées toutes les questions sont permises – dont celles-ci – après tout ce que l'on a écrit et lu sur les accointances de l'intéressé! Ne sait-on pas que les apprentis-sorciers se brûlent souvent les doigts et davantage encore?

Mais est-ce ainsi que l'on gagne la confiance de ses collègues et que l'on accède aux postes de responsabilité? Sur les ruines de l'autorité et du prestige de l'État?

Mais un État dépecé par les intérêts particuliers et mesquins pourra-t-il faire face à la menace étrangère à venir et à celle, toujours latente, du terrorisme?

Si la barque de l'État finit par prendre l'eau, ne serons-nous pas toutes et tous menacés de naufrage? À quoi nous serviraient alors les bénéfices que nous aurons soutirés à un État moribond et que ses propres enfants auront rendu exsangue?

En attendant, nous continuons, comme si de rien n'était et en toute irresponsabilité, à danser sur un volcan!
Pourvu que nos créanciers, nous voyant couverts de dettes et en train de manger notre blé en herbe, ne nous disent pas un de ces jours, comme la fourmi à la cigale qui a chanté tout l'été: «Eh bien !dansez maintenant

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