Tunisiennes

La Tunisie se présente comme une exception, une démocratie solitaire au milieu d'un océan de régimes autocratiques et d'Etats en faillite.

LLuis Bassets

Par LLuis Bassets*

 

La Tunisie n'était pas l'exception, elle était LA solution. C'est ainsi que les manifestants laïcs de la Place Tahrir au Caire l'ont compris en 2011. Face au mot d'ordre des Frères Musulmans «l'islam est la solution», ils opposèrent le leur «la Tunisie est la solution» (Tounes hiyya-l-hal). Mais les islamistes violents, qui veulent instaurer par le feu et par le sang l'islam comme seule et unique solution, l'ont également bien compris.

La solution tunisienne est simple: substituer à la tyrannie, un régime de démocratie représentative où seul le peuple s'érige comme unique souverain : hommes et femmes, tous égaux, nul n'est au-dessus de la Constitution autour de laquelle se rassemblent tous ceux qui respectent les règles des jeux.

La solution tunisienne n'a pas fonctionné en Egypte. Dans ce pays, les islamistes sont parvenus au pouvoir par la voie démocratique, mais ils n'avaient foi que dans la souveraineté d'Allah. Partisans de la soumission de la femme, arrogants, excluant tous ceux qui croient en d'autres religions et ceux qui ne croient en aucune. Ils ont divisé le pays, exacerbèrent la violence sectaire et gouvernèrent avec autant d'esprit partisan que d'impéritie en matière économique, préparant ainsi le terrain au retour de la dictature militaire.

La solution tunisienne n'a pas non plus servi ni en Libye, ni en Syrie, ni au Yémen où les soulèvements civils se sont transformés en guerre inciviles et la plupart des rebelles, en combattants au service d'un monstre plus terrifiant encore que la dictature, ce califat qu'un islam primitif et démentiel impose par le terrorisme.

La Tunisie est donc une exception, c'est-à-dire une sorte de démocratie solitaire perdue dans un océan de régimes autocratiques et d'Etats en faillite. Mais, malgré cela, elle est devenue LA solution, autrement dit le modèle qui constitue l'exact opposé du Califat, que le pseudo Etat Islamique projette de détruire.

Les affidés d'Al-Baghdadi et ceux qui sympathisent secrètement avec le califat y compris en le finançant ou en l'ayant déjà financé souhaitent que la Tunisie devienne comme l'Egypte, une dictature militaire ou, le cas échéant, un pays ravagé par les guerres civiles entre sectes opposées comme en Libye, en Syrie ou au Yémen.

Jeunes femmes tunisiennes manifestant à Paris contre le terrorisme.Jeunes femmes tunisiennes manifestant à Paris contre le terrorisme (Photo Abdellatif Ben Salem)..

Ceci explique l'attaque contre le Parlement, cette institution, siège de la souveraineté populaire dont la fonction première est de prescrire les lois, et en raison de cela, exécrée par ceux qui veulent obéir seulement à la charia et ne reconnaître d'autre souveraineté que celle d'Allah.

C'est ce qui explique également le massacre des touristes européens qui frappe l'économie tunisienne au cœur et illustre, encore une fois, le mépris dans lequel ceux qui pratiquent la religion musulmane dans sa version violente et salafiste tiennent la vie humaine.

L'islam n'est pas la solution, mais c'est de l'islam que pourrait surgir la solution à la résonnance entre religion et violence en expansion continue depuis des nombreuses mosquées et madrasas. L'islamisme armé est le fruit, mais l'arbre d'où surgissent les idées rigoristes et sa sève financière nourricière plonge ses racines très profondément dans nombre d'autocraties arabes.

La Tunisie est la solution, mais cette solution ne peut venir uniquement de la Tunisie. La Tunisie constitue le dernier rempart face à l'alternative impitoyable entre la dictature et le chaos.

Allons-nous abandonner maintenant les Tunisiens seuls face à leur destin?

Traduit de l'espagnol par Abdelatif Ben Salem

* Editorialiste.

Courtesy by © EL PAIS, 22 mars 2015.

Illustration : Des Tunisiennes manifestent contre le terrorisme à Genève (Photo Haykel Ezzeddine).


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