La marche mondiale contre le terroriste, hier au Bardo, a été une supercherie en ce qu'elle a permis aux parrains même du terrorisme de s'amender à vil prix.
Par Faïçal Abroug*
La marche mondiale contre le terrorisme, organisée le dimanche 29 mars 2019, au Bardo, a pris, depuis son annonce et jusqu'au bal masqué final, devant le siège de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) – en passant par les diarrhées verbales déversées sur les plateaux des télévisions et les ondes des radios, où, outre les enseignants, ceux qui avaient des réserves, tout-à-fait recevables d'ailleurs, quant à la participation à une telle manifestation, ont été livrés à l'opprobre et au lynchage médiatique –..., cette marche a pris, malgré sa portée symbolique, l'allure d'une monumentale «donquichotterie» version vingt et-unième siècle. En d'autres termes : «Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil».**
Le terrorisme : un bâtard extra-utérin?
L'argumentaire sur lequel s'appuient les objecteurs de conscience pour nous donner des leçons en matière de patriotisme et d'unité nationale, nous présente le terrorisme comme s'il s'agissait d'un concept métaphysique anhistorique sans aucun ancrage dans la réalité, comme si c'était un phénomène qui transcende toutes les divergences idéologiques et politiques, les intérêts économiques et les enjeux géostratégiques, ainsi que les différences entre des projets de société aux antipodes les uns des autres, un absolu qui échapperait à toute circonscription dans l'espace et dans le temps, une sorte de principe universel que tout le monde peut revendiquer sans aucune exigence éthique, sans aucune cohérence entre la parole et l'acte, sans être redevable à la mémoire des victimes et à la douleur de leur familles d'un minimum de respect.
Comme si le terrorisme n'avait ni assises théologiques et idéologiques ni références textuelles qu'elles soient sacrées ou profanes, ni matrice culturelle, ne se développait pas grâce à des structures de toutes sortes: partis politiques, associations caritatives, mosquées, journaux, sites internet, grâce à la générosité de bailleurs de fonds locaux, régionaux et internationaux. Une sorte de bâtard extra-utérin dont personne ne réclame la paternité y compris ses géniteurs !
Samir Dilou, Abdelkerim Harouni et Abdellatif Mekki, le anges de l'antiterrorisme.
Le consensus de parade
«Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil»*, tel est le slogan que devraient brandir tous ceux qui aiment à guerroyer contre le terrorisme sur les avenues et les places publiques, évacuant d'un revers de main les sacrifices, les souffrances endurées, le tribut payé en vies humaines pendant les années de braises, est-il besoin de le rappeler?, au nom d'un consensus de parade, d'une unité nationale factice qui met sur le même pied d'égalité le bourreau et la victime, le responsable politique et le citoyen lambda, dans une sorte de symbiose euphorique où les cartes se mélangent, la vision se brouille et les responsabilités s'estompent.
Les défenseurs des droits de l'homme et de la démocratie, les chantres de la liberté d'expression que sont, entre autres, le Premier ministre turc, le roi de Jordanie, le frère du prince du Qatar, des chefs d'Etat africains notoires et ce grand humaniste qu'est M. Netanyahou, qui a du sang palestinien sur les mains, n'étaient-ils pas, tous, aux premières loges dans la marche contre le terrorisme organisée à Paris à la suite des attentats contre ''Charlie Hebdo'' qui ont endeuillé la France?
En Tunisie, la configuration parisienne a été mimée mais à une échelle plus modeste. Un cadeau de la maison quand bien même, une photo qui circule sur Facebook, celle de Samir Dilou et Abdelkerim Harouni (ex-ministres, membres du Conseil de la Choura du parti islamiste Ennahdha, Ndlr) brandissant chacun une pancarte dénonçant le terrorisme: le meilleur commentaire est «sans commentaire».
Ghannouchi, le nouveau pape de l'antiterrorisme.
Prosélytisme, jihad et charia
Deux arguments retiennent souvent l'attention. L'un religieux mais relevant en réalité, soit d'une méconnaissance du dogme et des textes fondateurs soit d'un discours politiquement correct qui repose sur une distinction fallacieuse: islam modéré/islam radical. Or, hormis le regain de religiosité chez les jeunes et le besoin de spiritualité qui les anime souvent face à une société de consommation traversée par différentes crises, et particulièrement celle des valeurs; hormis les pratiques religieuses ancestrales naturellement ancrées dans la société tunisienne depuis des siècles, tous les islams, quels que soient la dénomination (sunnite, chiite, orthodoxe, politique...) ou l'acronyme (Daêch, Aqmi...), et par-delà des divergences exégétiques de l'ordre du détail, ont le même socle théologique et partant idéologique: le prosélytisme, le jihad et l'application de la charia notamment en matière d'agnosticisme, d'apostasie et de délit de blasphème. L'islam modéré remettrait-il en question ces fondamentaux et les versets y afférents?
L'autre argument est psychologique et pédagogique: acculer Ennahdha et les partis islamistes modérés à se désolidariser des islamistes radicaux et à dénoncer le terrorisme. Autrement dit, la marche serait une thérapie de groupe à double objectif: se donner bonne conscience pour les uns et évacuer l'énergie négative et les pulsions refoulées pour les autres. Entreprise louable mais qui comporte des risques avérés au regard de l'historique des mouvements islamistes dans le monde arabo-musulman et en particulier les Frères musulmans.
«Le terrorisme est aveugle», nous dit-on, mais l'opportunisme et la récupération politique lui rendent la vue, pour plagier Bernard Shaw.
Après l'euphorie, la dysphorie?
* Universitaire.
**Titre d'un film français.
{flike}