Les conseillers du président Caïd Essebsi doivent le mettre en garde et brider sa pente naturelle à badiner et à faire de l'humour car l'excès, comme on le sait, est préjudiciable en toute chose.
Par Slaheddine Dchicha*
Lors des deux importantes élections que la Tunisie a connues en 2014, le vote de rejet a joué un rôle plus qu'important.
Il s'agissait aux élections législatives du rejet du parti islamiste Ennahdha, même si, pour diverses considérations, le parti vainqueur, Nidaa Tounes, n'en a pas tenu compte en associant au pouvoir le parti rejeté dans les urnes.
Aux présidentielles, Béji Caïd Essebsi (BCE) a été élu entre autres pour faire oublier le président provisoire Moncef Marzouki, ses maladresses, ses gaffes et ses excentricités... Pour restaurer la fonction présidentielle et pour redorer le prestige de la République et celui de l'Etat. En effet, les Tunisiennes et les Tunisiens en avaient assez des bourdes que ne cessait de commettre M. Marzouki.
Et, effectivement, depuis le 31 décembre 2014, les citoyens ont pu mesurer rapidement la différence entre les deux styles, entre les deux hommes. Ils ont commencé à relever la tête et à retrouver leur fierté d'être Tunisiens et depuis ils n'ont cessé d'apprécier leur Président, son élégance et son charisme. Ils ont été tellement attendris par sa malice, sa finesse et son humour qu'ils ne l'appellent plus que par le diminutif affectif de «Bajbouj».
Trop, c'est trop !
Certes, le Président a le sens de la repartie; certes, il arrive à rattraper les coups les plus compliqués, à redresser les situations les plus difficiles et à récupérer les lapsus et les maladresses les plus désespérés; certes, enfin, le président a de l'humour et il arrive toujours à mettre les rieurs de son côté, mais après tout, il n'a pas été élu pour faire rire les Tunisiens. Qu'on en juge...
En une seule petite semaine, du 22 au 29 mars, BCE a accumulé les facéties.
Le dimanche 22 mars, lors de l'émission ''Le Grand Rendez-Vous'', diffusée en direct sur Europe 1 depuis le musée du Bardo l'allusion plus qu'explicite au bras d'honneur fait par BCE aux terroristes a étonné et fait sourire plus d'un téléspectateur en France et en Tunisie.
Le dimanche suivant le 29 mars, en prenant la parole pour remercier les participants à la Marche internationale contre le terrorisme, BCE, en lieu et place de François Hollande, a remercié un autre François... Mitterrand. Il est vrai que lors de ses derniers vœux aux Français, le 31 décembre 1994, François Mitterrand a déclaré: «Je crois aux forces de l'esprit et je ne vous quitterai pas.» Il faut croire qu'il a tenu parole en étant présent à l'esprit de BCE!
Le même jour, lors de cette même marche, à une équipe de télévision française qui, tenant absolument à avoir un plan rapproché des participants de marque, a forcé le passage malgré le service de sécurité, le Président s'est écrié: «Foutez-nous la paix quand même merde!», provoquant encore une fois l'hilarité et le buzz.
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La fin de l'état de grâce
Bien sûr, BCE était là dans le rôle de l'hôte généreux et sympathique qui devait détendre l'atmosphère et veiller au confort et à la tranquillité de ses invités de marque. Mais, en ce jour de commémoration, de solidarité et de recueillement, il se devait aussi d'être plus solennel et plus grave sous peine d'être perçu désinvolte.
Les conseillers du Président se doivent de le mettre en garde et de brider sa pente naturelle à badiner, à faire de l'humour car l'excès, comme on le sait, est préjudiciable en toutes choses d'autant que les ennemis de l'Etat, de la République et de la Démocratie sont tapis dans l'ombre, guettant la moindre faille et attendant la première occasion.
Les conseillers se doivent aussi de rappeler au Président qu'il n'est plus en campagne électorale et qu'il n'est plus tenu à séduire en détendant l'atmosphère et en mettant les rieurs de son côté.
La fin de l'état de grâce approchant, il serait dommage que l'affectif «Bajbouj» donne par analogie avec «galéjade» et «raffarinade» (par allusion à l'ancien Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin, Ndlr) un néologisme tunisien «bajboujade»!
* Universitaire.
Illustration: La marche internationale contre le terrorisme, le dimanche 29 mars 2015, au Bardo, a été marquée par des "bajboujades".
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