Le déficit de la balance commerciale est un problème pour l'économie de l'État. Il faut y remédier en menant une politique publique de protectionnisme sans heurts.
Par Mohamed Rebai*
La liberté des importations a engendré de nombreux abus. D'après le FMI «les pays qui ne protègent pas leurs produits peu ou prou de la concurrence étrangère ne réussissent pas». Nous importons des produits inutiles, de luxe ou de fantaisie, qui concurrencent parfois les produits tunisiens et grèvent la balance commerciale. Ils sont payés en devises alors que nos réserves en devises baissent dangereusement.
Le déficit chronique de la balance commerciale
Depuis l'indépendance la balance commerciale a enregistré deux pics. D'abord en 1968 avec le collectivisme où le solde négatif a été de 10,1 % du PIB. Ensuite en 1984 (-11,4% du PIB) nécessitant l'intervention du FMI avec ses mécanismes ordinaires et spéciaux parmi lesquels le fameux «programme d'ajustement structurel» (PAS 1986).
En 2014, le déséquilibre structurel de la balance commerciale tunisienne (déficit) serait de 13,6% du PIB. En 2015 il va grimper pour atteindre un taux record de 15,79% du PIB (prévisions).
La veille de la révolution de 2011, le déficit de la balance commerciale représentait 4,8% du PIB. En seulement quatre années de tergiversations et de chaos, il a été multiplié par trois. L'objectif étant de le ramener sous la barre de 3%. Ce qui est techniquement possible mais les politiques très voraces ne semblent pas s'occuper sérieusement du dossier.
Le déficit actuel est de 13,7 milliards de dinar, ce qui est de nature à alimenter la spirale inflationniste, à affecter négativement le dinar et à frapper durement les équilibres de la balance des paiements.
Toutefois, le taux de couverture de nos importations par les exportations s'est légèrement amélioré passant de 67,5% en 2013 à 70% en 2014.
La meilleure couverture des importations par les exportations a été réalisée en 1971 (-0,33% du PIB) sous la houlette du réformateur Hédi Nouira (Premier ministre de 1970 à 1980). Personnage très connu pour sa rigueur économique.
Malgré le glissement continu du dinar par rapport aux devises étrangères, rendant nos exportations théoriquement plus abordables, le déficit structurel de la balance commerciale a fini par révéler le fossé toujours plus grand séparant nos exportations conjoncturelles (tourisme, huile d'olive, phosphate, dattes...) sans consommation intérieure soutenue et la tendance haussière et effrénée de nos importations.
Lorsqu'on parle de déficit commercial cela équivaut à un appauvrissement pur et simple du pays. En principe, un échange commercial devrait être profitable à chacun des partenaires. Ce n'est pas le cas pour la Tunisie avec la plupart de ses principaux partenaires notamment européens (74% des échanges).
Les raisons sont multiples et diverses. D'abord la régression de la production engendrée par plusieurs arrêts de travail. Le commerce parallèle occasionnant un manque à gagner pour l'Etat en matière de recettes fiscales et douanières. Des investissements directs étrangers (IDE) toujours en régression pour atteindre un plancher glissant et dangereux et enfin le tourisme considéré comme exportation mortellement blessé au Bardo.
Un Etat paternaliste, dépensier et gaspilleur
La libération des importations accompagnée par un démantèlement douanier a engendré plus qu'un abus. Si vous regardez de très près la nomenclature douanière des produits importés vous allez vite découvrir des produits de luxe, signés et de prestige, notamment en textiles, habillement et chaussures, importés à coup de centaines de milliards alors que nous sommes fabricants de ces produits.
A première vue, les produits agricoles et alimentaires de base et les produits énergétiques accaparent le quart de nos importations (24%). Un autre quart va aux produits d'équipements (27,6%). Le reste est absorbé par les produits miniers et phosphates (2,3%), les produits intermédiaires (33,5%) et les autres produits de consommation (12,6%).
Les produits énergétiques, qui représentaient un lourd fardeau dans la structure des importations, sont actuellement réduits à une portion congrue suite à la chute vertigineuse des prix des produits pétroliers. Reste les produits alimentaires qui accaparent le quart de nos importations (42.042,5 millions de dinars, MD) en augmentation de 34,5% par rapport à 2013. Les exportations de l'année 2014 (28.406,9 MD) sont en augmentation de seulement 2,5% par rapport à 2013.
Dans la catégorie 'Produits agricoles et alimentaires de base' représentant 6% de nos importations, il n'est pas normal que nous continuons à importer du blé dur pour 347,6 MD, du blé tendre pour 550,6 MD, de l'orge pour 378,3 MD, du maïs pour 381,2 MD, des huiles végétales pour 459,5 MD et du sucre pour 303 MD, sans compter le gaspillage du pain, dont le coût annuel serait de 100 MD, du poisson frais ou réfrigéré, de la viande de volailles, bovine, ovine et cameline, des œufs, du lait et produits laitiers importés pendant ramadan pour réguler le marché.
Avec un petit programme de réforme agraire, on devrait assurer la sécurité alimentaire des Tunisiens. Nous avons du potentiel humain (ingénieurs, techniciens, ouvriers agricoles) et matériel (surfaces irrigables, céréaliculture et arboriculture ne sont pas pleinement exploités). La Tunisie a été durant des millénaires le grenier de Rome et un exportateur de céréales de taille jusqu'à l'indépendance.
Pour ce qui est des produits énergétiques, nous avons importé en 2014 du pétrole brut pour 1.555,2 MD (23%), des produits raffinés pour 3.550,3 MD (52%) et du gaz naturel pour 1.666,6 MD (25%). Cette situation ne peut pas également perdurer.
Il y a lieu d'agrandir au plus vite la capacité de raffinage de la Société tunisienne des industries de raffinage (Stir), dont les équipements deviennent obsolètes, et d'activer en même temps la réalisation de la raffinerie de Skhira, dont on a beaucoup parlé sans la mettre en œuvre.
Les produits miniers et phosphates, qui représentent 2,3% de nos importations, comprennent du souffre pour 253,1 MD et de l'ammoniac pour 183,1 MD, deux produits servant à enrichir les engrais phosphatés tunisiens destinés à l'exportation. Toutefois, le plus haut pic de ces deux produits sont affichés en 2008 (1.150,2 MD pour le souffre et 212,4 MD pour l'ammoniac). Il faut dire que le Groupe chimique tunisien (GCT) a été sérieusement secouée par des arrêts de travail très préjudiciables à son expansion.
Avec 13.918,8 MD, les autres produits appelés intermédiaires représentant le tiers de nos importations (33,5%). Ils concernent les tissus importés à raison de 2.128,2 MD, des articles en textiles pour 943,4 MD, du cuir et peaux pour 429,1 MD.
Les produits d'équipement représentent 27,6% de nos importations soit 11.349,9 MD. Il importe de contingenter l'importation de voitures de tourisme (1.317,6 MD) et de camions (717,9 MD) au bénéfice du transport ferroviaire en déclin.
Les autres produits de consommation, représentant 12,6% de nos importations, méritent aussi une coupe sur les ouvrages en plastiques (1006,9 MD) et les lampes et tubes cathodiques (569 MD).
Ainsi, il devient impératif d'augmenter la production tout en la rationalisant, de contrôler les circuits de distribution, de mettre fin à l'exportation clandestine ou informelle, d'améliorer la gestion des entreprises publiques, d'améliorer le contrôle des prix, de réformer la fiscalité, de mettre fin à la spéculation dans les circuits de distribution et enfin de rendre à l'état son pouvoir régulateur de l'économie tunisienne
Le déficit de la balance commerciale est un problème pour l'économie de l'État. Il crée du chômage. Il faut y remédier en menant une politique publique de protectionnisme sans heurts.
Il est temps de cerner le gaspillage, de contingenter l'importation de certains produits de luxe voire les supprimer carrément pour un bout de temps. Imaginez ce que l'on pourrait faire si l'Etat cessait de gaspiller, s'il réduisait son train de vie (masse salariale, voitures et bons d'essence).
Voilà, je ne pose pas des questions autour du pot. Je les prends à bras le corps. Je les analyse et les décortique et je propose des solutions. A vous de faire des propositions alternatives ou complémentaires sans tirer sur mes idées. Je n'ai fait qu'attirer votre aimable attention sur un maillon faible de l'économie tunisienne.
La richesse d'un pays se mesure en regardant sa balance commerciale, mais laquelle, l'authentique, provenant de l'Institut national de la statistique (INS) ou bien l'occulte, provenant des activités de la contrebande qui prend des proportions alarmantes dans notre pays?
*Economiste.
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