Pologne Justice transitionnelle

Au retour d'un voyage en Pologne, l'auteure rêve de voir la Tunisie s'inspirer de l'expérience de ce pays en matière de réforme politique et de justice transitionnelle.

Par Lilia Bouguira*

La Pologne, un pays d'Europe centrale frontalier à l'ouest avec l'Allemagne, à l'est par la Russie.

Cette position en sandwich lui vaudra bien des tourments, écartelée entre un nazisme exterminateur et un communisme des plus meurtriers.

Tour-à-tour reprise comme une vulgaire balle de ping-pong, la Pologne glisse dans ses années les plus sombres et les plus sanglantes de représailles de crimes et de massacres octroyant 6 millions de perte de vies humaines innocentes sur une période s'étalant de la seconde guerre mondiale jusqu'à la chute du mur de Berlin en 1989.

Les nazis inventent la race maudite et tentent de l'en purifier avec une chasse à l'homme réduit en sous-homme dans des camps d'extermination massive: Auschwitz-Birkenau, Treblinka, Maidanek, Belzec, Sobibor... à couper le souffle par leurs horreurs et barbarie.

Les communistes tissent sur le même canevas une imposition sécuritaire avec une chasse des plus sanguinaires du «soldat maudit», d'«une intelligentsia maudite», d'«artistes maudits» et d'«un peuple maudit» faisant tomber plus de 50.000 morts et des milliers de prisonniers avec des camps de travail et des prisons.

Musée Insurrection de Varsovie

Le Musée de l'Insurrection de Varsovie.

Souvent, sur les traces de leurs prédécesseurs allemands, ils ont inventé pire en instaurant le régime de la terreur tenue par la police politique: une manne de fer avec des résidences insoupçonnées, des lycées insoupçonnés, des terrains vagues insoupçonnés où leurs caves ou encore des trous creusés dans la terre servaient à l'insu des habitants même des quartiers comme hauts lieux de torture et de sévices extrêmes pour extraire des aveux et réduire le sujet.

Des milliers de cadavres entassés les uns sur les autres fusillés et tués dans des trous perdus avec des «Sauvez-moi Jésus», «Yahvé» ou «Dieu» grattés par leurs ongles à même le sol comme un dernier cri de survie seule trace de leur passage témoin de leur crime.

Pendant des décennies, le Polonais a été réduit non plus à son Etat mais assujetti à l'un ou à l'autre de ses dictateurs. Un véritable génocide où Dieu ne fait plus mais l'homme fait à l'homme n'épargnant ni femme ni enfant ni vieux ni moins vieux. Ludzie Ludziom ne saurait mieux décrire dans son livre: «Ce sont des humains à des humains qui ont préparé ce sort».

Et pourtant, en me promenant dans les rues de Varsovie, un peuple serein, va à son travail, fait ses courses sans aucune animosité mais beaucoup de fierté. Des bâtisses, des musées conservent jalousement, dans leurs méandres, le massacre de ce peuple et de ses endurances mais sans aucune trace de vengeance ni de haine.

Un peuple et son malaise se juge aux violences rendues dans des actes faits dans les rues, à commencer par les poubelles jonchées dehors en nuées, aux bancs publics arrachés pour être arrachés et parfois juste pour s'amuser, aux stations de bus saccagées par pure pulsion dévastatrice, aux mendiants paresseux et non invalides qui pourrissent la vie, aux SDF qui squattent les devantures des magasins la nuit ou encore les stations de métro, aux pique-pockets sans merci...

Pas de violence dans les propos et actes, pas d'inculture, pas de mauvaise citoyenneté. Juste des hommes et des femmes simples et discrets.

En découvrant le Musée de l'Insurrection de Varsovie, j'ai perçu, en portant mon oreille sur le mur de Varsovie, le cœur de cette dernière tourmentée par soixante jours de raids allemands en 1944 en non-stop, rasant tout au passage du quartier juif en passant par Wola, ce quartier huppé où furent massacrés des milliers de civils polonais et où siège actuellement le fameux musée.

Mon pouls s'est emballé au rythme de cette dernière et je n'ai plus eu de sens et de souffle que haletante et écrasée sous le poids des bombes que les Allemands larguaient douloureusement sur la ville. A un long moment fait de larmes et de chagrin, j'ai cru y être et je me suis sentie emportée dans ce drame polonais.

Pologne Justice transitionnelle

Des «Sauvez-moi Jésus», «Yahvé» ou «Dieu» grattés par leurs ongles à même le sol comme un dernier cri de survie...

Je poursuis ma visite accompagnée d'un excellent guide mis à notre service pour l'occasion et une fois dehors aux abords du musée et sur un côté se trouve le «Parc de la Liberté» fait du «Mur de la Liberté», un mur long de 156 mètres où sont gravés les noms d'environ 10.000 insurgés qui prirent part aux combats en août et septembre 1944.

Au centre de ce mur, se trouve une cloche de 230 kilos, baptisée «Monter» en hommage au général de brigade Antoni Chruściel, lequel prit le commandement de l'Insurrection de Varsovie sous ce pseudonyme. Une tour de 32 mètres offre une vue panoramique sur Varsovie et sur la ligne de front lors de l'insurrection.

Je rentre exténuée de cette promenade sur le trajet d'un peuple torturé par plus de cinquante ans d'une double dictature mais fascinée par son courage et sa volonté de s'en sortir et de réussir. Je le crois fermement dans cette belle phrase sans sur-exagération où «le Polonais a été dévoré mais jamais digéré».

Dans cet effort immense de résurrection de non plus une ville uniquement mais de tout un pays que j'ai appris rapidement à aimer. Je rentre grisée par autant d'endurance, enivrée de volonté de copier dans cet unique modèle polonais.

Je veux participer à mon tour en bonne citoyenne à asseoir la stabilité et la démocratie pour définitivement raconter à mon tour une Tunisie libre.

Je veux également, avec des centaines de cyclistes volontaires, courir dans des rues fermées de Thala et Kasserine, de Sidi bouzid et Gafsa, de Tunis et Ouerdanine, traçant le trajet de nos martyrs et nos blessés hurlant à plein gosier nos éternels «Dégage».

Je veux aussi piocher dans leurs manuels scolaires et dans leurs réformes pédagogiques des jeux et des puzzles racontant un Bouazizi désemparé, une jeunesse désœuvrée mais tellement belle et rêvant de liberté et de dignité.

Je veux leur copier leur projet pour enfant «le petit Katyn» pour raconter cette fois «le petit tunisien» en référence à son grand Chokri Belaid ou Mohamed Brahmi.

Je veux meubler aussi le palais de Ben Ali à Sidi Drif, tombé en ruine depuis quatre années et transformé en musée: celui de tous les Tunisiens et visité du monde entier pour témoigner d'une dictature renversée par la seule volonté d'un peuple libéré.

Je veux faire aussi de nos martyrs et de nos militants «des patrons de nos rues» dans chaque commune et dans chaque cité.

Je veux aussi avoir notre «Parc de la Liberté» avec son «Mur du Souvenir» où serait inscrit le nom de chaque martyr tombé pour son pays depuis la chasse au français jusqu'à aujourd'hui.

Je veux aussi pouvoir exporter notre fière notre révolution, notre rêve de liberté et notre démocratie réussie.

Je veux également me vanter devant l'international sans être rongée notre «9-Avril»; le rôle de nos femmes sans précédent.

Je veux finir en racontant «Je suis Bardo», un itinéraire exceptionnel où le terrorisme ne pourra sévir sous les échos des chants tournés en boucle lors du fameux siège de l'Assemblée nationale constituante (ANC): «Errahil» sous un soleil plombé du Bardo et toujours le Bardo.

* Membre de l'Instance Vérité et Dignité.

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