Immigrés à Zarzis Banniere

Les habitants de Zarzis, terre d'émigration par excellence, n'ont pas honoré leur réputation en affichant un sentiment raciste à l'égard d'immigrés subsahariens.

Par Slaheddine Dchicha*

Le 25 avril dernier, en route vers Lampedusa, une embarcation partie de la ville côtière libyenne Zouara avec à son bord 80 migrants clandestins s'est trouvée en perdition au large des côtes tunisiennes. Des pêcheurs zarzisiens, après avoir donné l'alerte aux garde-côtes, se sont portés à son secours, ont fait embarquer les naufragés sur leur bateau et les ont emmenés au port de Zarzis.

Les rescapés, dont la plupart sont d'Afrique subsaharienne (du Mali, du Sénégal, du Nigéria, du Niger et du Cameroun), ont été hébergés dans un centre d'accueil provisoire situé à proximité d'une école primaire.
Solidarité et générosité

Beau geste solidaire des gens de mer. Geste conforme à la générosité tant louée sur le site de promotion de la ville, Dar Zarzis: «A tous les avantages dont jouit Zarzis, s'ajoute un autre élément et non moins important. Il s'agit certes du caractère généreux des Zarzisiens qui sont accueillants, de contact très faciles, hospitaliers, joviaux, tolérants et bons vivants»

Attitude louable et logique sachant que la ville est une terre d'émigration. En effet, pas une famille à Zarzis qui ne compte un émigré et nombre de cafés et de quartiers, en France et ailleurs, sont des petites Zarzis du fait de l'émigration en grappes qui incite les émigrés de la même région à se regrouper.

Geste de reconnaissance vis-à-vis des émigrés et de l'émigration dont les apports à la ville et à ses habitants sont considérables. En effet, la ville vit au rythme de l'émigration. Zarzis est une belle endormie qui passe neuf mois assoupie pour se réveiller dès la fin mai. Pendant l'été, pendant cette saison que d'aucuns appellent la saison des mariages, la ville se réveille, s'anime, et vit 24 h/24h. Les retrouvailles, les mariages, les fiançailles, les plaisirs de la plage, les veillées... Zarzis doit tout à l'émigration.

L'amour immodéré des Zarzisiens pour leur ville, leur passion pour leur presqu'île font qu'ils partent sillonner les mers à la recherche du poisson et des éponges et qu'ils traversent les frontières à la recherche des moyens pour améliorer leur vie et celle des leurs mais, Ulysse fidèles, ils reviennent toujours à Zarzis ou du moins ils l'espèrent.
Et en prévision de ce retour, chaque Zarzisien, émigré en France ou ailleurs, a édifié une villa aux couleurs chatoyante pour laquelle il a économisé toute sa vie et qui pour la plupart du temps ne sera jamais habitée en raison de la mort ou de l'exil prolongé malgré la retraite.

Les causes de ce retour différé sont nombreuses : une femme d'origine gauloise, des enfants qui ont fait racine, l'assurance maladie et la qualité des soins ou tout simplement la vie en Occident. En tout cas, par la grâce des émigrés, cette presqu'ile défigurée par les promoteurs immobiliers et par le tourisme de masse se trouve colorée comme par un peintre naïf grâce à ces maisons aux couleurs étonnantes et à l'architecture comme dessinée par un Gaudi ou par un Facteur Cheval

Amnésie et schizophrénie

Nombreux sont les Zarzisiens, parmi lesquels l'auteur de ces lignes, qui ont été fiers de l'attitude de leurs concitoyens vis-à-vis des clandestins africains... mais leur fierté fut de courte durée. A peine deux jours après, le 27 avril, les Subsahariens ont été transférés vers un centre d'accueil situé à Mégrine, dans la banlieue-sud de Tunis.

Les parents d'élèves et le corps enseignant de l'établissement scolaire se sont plaints de la présence de ces immigrés, prétextant «un manque de sécurité et la crainte de transmission de quelque épidémie». On dirait du Lepen !

Pourquoi ces femmes et ces hommes seraient-ils porteurs d'insécurité et de maladie? Parce qu'ils sont étrangers?

Différents? Emigrés? Noirs? Est-on toujours l'autre, l'étranger, l'émigré de quelqu'un?

Ainsi donc, le premier élan était trop beau pour être vrai. Les Zarzisiens, amnésiques ou schizophrènes ont oublié qu'à peine une semaine après la révolution de 2011, 6000 de leurs enfants ont débarqué à Lampedusa... Ils ont oublié ce qu'ils ont enduré et ce qu'endurent encore leurs proches à Lampedusa, à Milan, à Vintimille, dans la banlieue parisienne et ailleurs. Suspectés, stigmatisés, soupçonnés non pas pour leurs actes mais pour ce qu'ils sont, comme ces survivants africains qu'ils viennent de chasser.

Amnésiques, ils ont oublié, le mépris, le mot qui anéantit, le regard qui nie... les petits riens du racisme ordinaire qu'ils viennent d'adopter. De victimes, ils deviennent bourreaux; d'accusés, accusateurs...

Attitude amnésique, schizophrène et incohérente, sinon pourquoi ces parents si soucieux de leurs enfants n'ont-ils ni bougé, ni protesté lorsque, le samedi 26 janvier 2013, Nabil Al-Awadi, le sinistre imam et prédicateur islamiste koweitien, déchu d'ailleurs depuis de sa nationalité, s'est rendu à Zarzis pour lancer son fameux projet obligeant les petites filles à porter le hijab et pour rendre hommage aux «petites princesses de Zarzis», ces petites filles voilées et déguisées en l'occasion à son honneur...

Depuis ce 27 avril, la révolte et la honte font passer en boucle ''Nari 3ala Zarzis'' (vieille chanson de Naâma dont un couplet pleure les filles de Zarzis, Ddlr)...

* Universitaire.

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