La complexité des réformes à mettre en route et les résistances qu'elles peuvent susciter ne doivent pas servir de prétexte pour les reporter.
Par Hatem Mliki*
Les 100 jours de grâce du gouvernement Habib Essid prendront fin dans quelques jours. La polémique est déjà lancée et le cabinet actuel aura certainement du mal à convaincre les Tunisiens d'un changement significatif pouvant leur faire oublier le laxisme et l'indécision des gouvernements précédents, qui semblent s'imposer à l'actuel exécutif.
A vrai dire le chef du gouvernement ne doit pas se laisser piéger par cette logique des 100 jours qui pourra étouffer son action. M. Essid doit se libérer de ce cadre classique plutôt apparenté à des démocraties stables et non pas un pays en transformation.
Une mutation du mode de pensée
Le chef du gouvernement a intérêt à opérer une véritable mutation de son mode de pensée et s'engager dans des réformes profondes, ambitieuses, complexes et douloureuses mais nécessaires.
Au lieu de rechercher des bénéfices à court terme à travers des actions sectorielles qui peuvent être intéressantes mais ne sauraient révolutionner la Tunisie et répondre aux attentes de la population, le cabinet Essid a plutôt intérêt à engager les réformes horizontales nécessaires qui mettront la Tunisie sur la voie de la démocratisation et du progrès.
Habib Essid ne doit pas se laisser piéger par cette logique des 100 premiers jours de son gouvernement.
Ces réformes concernent essentiellement quatre principaux volets qu'il faut engager dans l'immédiat.
Premièrement, il faut engager un processus d'opérationnalisation du chapitre 7 de la constitution consacré au pouvoir local.
En plus des élections municipales et régionales qui doivent être organisées dans les meilleurs délais une fois la loi électorale élaborée, discutée et adoptée, le gouvernement doit préparer une stratégie clairement définie du processus de décentralisation prévu par la constitution. Cette refonte du système de gouvernance de la Tunisie doit être bien élaborée. Une volonté politique ferme doit être prononcée en sa faveur et un plan d'action détaillé doit voir le jour très prochainement.
Transparence des politiques publiques
Deuxièmement, une refonte des finances publiques doit être engagée en urgence. D'un côté, le système de la comptabilité publique à partie simple doit être aboli le plus tôt possible et remplacé par une comptabilité à partie double.
Le conservatisme et le laxisme de l'argentier du pays n'ont pas à hypothéquer le droit des Tunisiens d'avoir un système qui permet, en plus de la garantie de la transparence, de mesurer l'efficacité des politiques publiques.
Les coûts des interventions publiques dans tous les secteurs doivent être rendus publics et connus par tous et non plus manipulés par les départements ministériels qui sont eux-mêmes perdus dans ces chiffres. D'autre côté, les services publics doivent être dotés d'une véritable autonomie financière et des services de contrôle de gestion et d'audit interne doivent remplacer le système révolu de contrôleur des dépenses et de trésoriers publics.
Troisièmement, la stratégie du gouvernement doit adopter une nouvelle logique. Au lieu que les différents ministères présentent des actions prioritaires, il est temps que les secteurs apprennent à fonctionner sur la base de programmes-cadres avec des résultats clairement définis auxquels des indicateurs d'impact objectivement vérifiables peuvent être appliqués.
Les visites de terrain sont une bonne chose, la décentralisation serait encore mieux.
Rompre avec les effets d'annonce
Le gouvernement doit rompre définitivement avec les effets d'annonce comme l'ouverture d'un centre par ci, la construction de routes par-là ou bien la création d'un comité de réflexion, de nouvelles nominations dans des postes de responsabilités, une campagne de propreté ou un redéploiement musclé des services de l'ordre.
La Tunisie mérite, aujourd'hui, un gouvernement qui s'engage pour un taux de croissance, un taux de pauvreté ou de chômage, un coût des soins médicaux, un nombre de PME à créer, un taux d'inflation, des délais de traitement d'affaires judicaires, des surfaces des périmètres irrigués...
Quatrièmement, et pour faire face à sa situation financière délicate, le gouvernement a besoin d'un plan de mobilisation des ressources. L'exécutif n'a plus à subir les difficultés et les limites de la gestion publique des services publics. La loi du partenariat public privé, toujours dans les tiroirs de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), doit être examinée et promulguée le plutôt possible. L'Etat tunisien doit s'associer aux privés pour trouver des ressources supplémentaires et bénéficier d'un management plus performant que la gestion publique ne peut pas offrir.
La complexité de ces réformes, la résistance aux changements qu'elles peuvent susciter et la fragilité politique, économique et sécuritaire du pays ne doivent pas servir d'excuses pour les reporter. Car un pareil report pourrait faire sombrer la Tunisie dans des querelles politiciennes infinies et dévastatrices.
* Consultant en développement.
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