Robert Attal (1927-2011) nous a quittés, c’est sans aucun doute une énorme perte pour la recherche historique et le judaïsme tunisien et nord africain. Par Claude Sitbon*
Auteur infatigable, Robert Attal a laissé toute une collection d’ouvrages en judéo-arabe, un trésor inestimable et fait paraître le troisième tome de sa monumentale ‘‘Bibliographie des Juifs d’Afrique du Nord’’.
Un ami, un complice
Robert Attal est né à Paris. Il s’est installé ensuite avec ses parents à Tunis, où il vécut toute son adolescence et sa jeunesse, puis, à partir de 1956, à Jérusalem, où il a intégré aussitôt l’Institut Ben Zvi, et plus exactement sa bibliothèque – ce temple de la culture – où se trouvent le plus grand nombre de manuscrits, d’ouvrages, de thèses sur les communautés juives de Tanger à Bagdad. Il sera celui qui, en tant que bibliothécaire, contribuera à faire de cette bibliothèque un de ces hauts lieux où l’on vient du monde entier – y compris de Tunisie –, parce qu’on sait qu’on y trouvera non seulement une oreille attentive, mais aussi et surtout quelqu’un qui vous aidera à progresser dans votre recherche. Même après sa retraite, Robert Attal continua à faire des recherches et à dispenser ses conseils.
Avant de s’installer définitivement à Jérusalem, en 1956, Robert Attal a collecté un grand nombre de manuscrits, de livres ainsi que toute la littérature relative à la communauté tunisienne, en particulier, et au judaïsme d’Afrique du Nord, en général. Et c’est ainsi qu’il rassemblera plus de 150 manuscrits, des centaines de mètres de micro films, plus d’un millier d’ouvrages en hébreu, en judéo-arabe et en français, des brochures de toutes sortes, des collections complètes de journaux – plus de 150 en ce qui concerne par exemple le judaïsme tunisien.
Robert Attal n’est pas un simple bibliothécaire, c’est d’abord et avant tout un bibliographe obstiné, assidu, précis et ordonné. En 1973, il publia la première bibliographie sur les Juifs d’Afrique du Nord, comportant 5.700 titres et 20 ans plus tard, il en fera paraître une autre enrichie, comportant cette fois 10.000 titres. Ce qui fera dire à M. Kuperminc, Conservateur de la Bibliothèque Israélite Universelle: «On utilise quotidiennement ‘‘le’’ Attal. Cette bibliographie… qui est une somme irremplaçable et indispensable pour le chercheur qui veut connaître la vie des communautés d’Orient».
Il écrira aussi d’autres bibliographies – sur les Juifs de Grèce, sur les ouvrages de Haïm Zeev Hirschberg, Dov Goïten, David Zvi Beneth, Corcos et d’autres. Tous ces travaux témoignent d’une quête assidue, passionnée, inspirée par l’amour du livre et du document écrit, celui du bibliographe découvreur, du collectionneur et du lecteur éclairé, du chercheur et de l’érudit infatigable.
Spécialiste de la langue judéo-arabe en Tunisie
Et si tout cela ne suffisait pas, Robert Attal est l’un des plus grands spécialistes de la langue judéo-arabe en Tunisie. A la veille du XXème siècle, des journaux en judéo-arabe firent leur apparition ainsi qu’une riche littérature populaire – une espèce de passage de la tradition orale à l’écriture et au recours à la langue vernaculaire. Certes les élites juives perdirent à l’école française l’usage de leur langue maternelle, mais la mémoire de cette langue subsistera puisque Robert Attal possède la plus grande collection de cette littérature – il a 1.100 ouvrages sur les 1.300 existants! D’ailleurs, le dernier-né de Robert Attal – paru en 2007 à l’Institut Ben Zvi – s’intitule ‘‘Un siècle de littérature judéo-arabe tunisienne (1861-1961)’’.
On n’exagèrerait point si, en guise de conclusion, on disait d’Attal qu’il a été «la patrie portative du judaïsme d'Afrique du Nord».
* Claude Sitbon est historien du judaïsme tunisien et écrivain originaire de Tunisie. Né à Tunis en 1943, il est le co-auteur, avec Robert Attal, de ‘‘Regards sur les Juifs de Tunisie’’ (Éd. Albin Michel, Paris 1979).