Même si il est aisé de dresser un portrait ressemblant des différentes dictatures de la région, la Libye présente un visage tribal beaucoup plus marquée, laissant entendre des enjeux et un dénouement totalement différent de celui de la Tunisie ou de l’Egypte.
Il est évident que la chute du régime de Kadhafi constituerait un nouveau souffle de liberté dans la région et relancerait de façon forte les élans démocratiques des peuples de pays comme l’Arabie saoudite, la Jordanie, la Syrie, le Maroc et peut être même l’Algérie. Au final, un casse-tête d’alliances pour les grands de ce monde à renégocier dans une zone qui abrite les plus grandes réserves pétrolières du monde. La démocratie attendra, rien ne presse.
D’une manifestation pacifique à une guerre civile
Il n’en faut donc pas plus pour faire de la Libye un cas d’école dans la région, un scénario où s’entremêlent pertes humaines et guerre civile. Un conflit dans lequel l’élan de liberté et les revendications de la population se confondent désormais aux desseins d’une guerre tribale, une guerre qui fait trembler tout le Moyen-Orient, gouvernants comme gouvernés. Comment ça s’est passé?
Après moins d’un mois, le pays est en proie à une véritable guerre civile avec un front est-ouest qui s’installe, contrairement à la logique des révolutions éclairs des deux pays limitrophes. Nous sommes passés d’une manifestation pacifique de la jeunesse, réprimées dans toutes les villes du pays, à une insurrection militaire alimentée par une logique clanique.
D’un côté, l’armée a tout simplement rejoint les manifestants et les a armés, les transformant ainsi en rebelles. Et c’est joliment structuré: entrainement de volontaires, distributions d’armes, création de milices armées, objectifs de campagne. Tout y est et c’est professionnel.
Ce n’est pas une armée en débandade, mais une armée parfaitement organisée avec un objectif: recruter des civils avec la bienveillance des puissances occidentales qui envoient sur place leurs propres experts (avec plus ou moins de succès si l’on se réfère à la débandade des représentants britanniques).
Les militaires qui ont réalisé cela sont loin d’être irresponsables. Ils ont néanmoins pris le risque d’armer une population en sachant très bien qu’aucun retour en arrière ne serait alors possible, et que lorsque vous armez des civils, il faut ensuite des années pour leur ôter les armes.
Il en est de même du côté du clan Kadhafi. Les Libyens pro régime sont armés jusqu’au dents, renfloués par la télévision officielle diffusant des images de mères de famille avec des mitraillettes tirant en l’air, prêtes à tuer tous les «rats» qui oseraient sortir de leur trou. Dans ce contexte, on peut difficilement manifester à Tripoli. Plus besoin de s’émouvoir outre mesure, les gens qui meurent sont désormais des militaires!
Pour la plupart des opinions publiques, une guerre tribale est beaucoup plus acceptable qu’une répression contre des civils. Même le langage a changé: on parle de «loyaliste et d’insurgés», de batailles rangées, d’objectifs militaires, et de temps en temps de victimes civiles, mais de plus en plus rarement. En clair, tout est fait pour que l’aspiration du peuple libyen soit supplantée par une lutte de pouvoir tribale, en nous amenant gentiment à envisager une partition naturelle du pays en deux blocs géographiques.
Les calculs des puissances occidentales
Par coïncidence, les navires américains basés en Méditerranée sont les mêmes qui étaient au large de la Yougoslavie, une impression de déjà vu… Nous assistons de nouveau à des Républicains américains prônant une intervention militaire directe, alors que les Démocrates souhaitent une résolution des Nations Unies qu’ils savent pourtant impossible car tributaire de l’aval de la Russie et de la Chine. En bref, on risque de faire durer un petit moment la crise derrière laquelle se dresse le spectre d’un scénario de scission.
Le résultat factuel est le suivant:
- les opinions publiques occidentales sont entrain de relativiser la crise, permettant aux politiques d’être moins sous pression;
- les manifestations pacifiques dans les pays voisins sont moins visibles, et le message est «Calmez vous, regardez ce qui se passe en Libye»;
- une crise de longue durée semble s’installer, empêchant toute structuration d’un axe politique «Sud/Sud» entre les pays du Maghreb. Du coup, la France et la Ligue arabe relancent le processus méditerranéen qui semblait pourtant bien enterré;
- l’Algérie et l’Arabie saoudite semblent bénéficier d’un sursis et évitent une radicalisation de la contestation populaire, épargnant dans la foulée de violents soubresauts au marché mondial de l’énergie.
A qui profite donc cette évolution? Sans vouloir tomber dans la théorie du complot, cette réflexion cherche juste à proposer un éclairage complémentaire sur les événements aux frontières de notre pays. Il nous reste qu’à espérer de tout notre cœur avoir tort sur la durée de la crise, dont le lourd tribut en vies humaines sera payé par le peuple libyen.
Un impératif de réussite supplémentaire pour notre pays.
L’imbroglio libyen dans le jeu des intérêts internationaux
Ben Ali est parti, Moubarak également, Kadhafi reste en place. Pourquoi la troisième dictature de la rive Sud de la Méditerranée tarde-t-elle à s’effondrer? Par Nejia Ben Othman
Même si il est aisé de dresser un portrait ressemblant des différentes dictatures de la région, la Libye présente un visage tribal beaucoup plus marquée, laissant entendre des enjeux et un dénouement totalement différent de celui de la Tunisie ou de l’Egypte.
Il est évident que la chute du régime de Kadhafi constituerait un nouveau souffle de liberté dans la région et relancerait de façon forte les élans démocratiques des peuples de pays comme l’Arabie saoudite, la Jordanie, la Syrie, le Maroc et peut être même l’Algérie. Au final, un casse-tête d’alliances pour les grands de ce monde à renégocier dans une zone qui abrite les plus grandes réserves pétrolières du monde. La démocratie attendra, rien ne presse.
D’une manifestation pacifique à une guerre civile
Il n’en faut donc pas plus pour faire de la Libye un cas d’école dans la région, un scénario où s’entremêlent pertes humaines et guerre civile. Un conflit dans lequel l’élan de liberté et les revendications de la population se confondent désormais aux desseins d’une guerre tribale, une guerre qui fait trembler tout le Moyen-Orient, gouvernants comme gouvernés.
Comment ça s’est passé?
Après moins d’un mois, le pays est en proie à une véritable guerre civile avec un front est-ouest qui s’installe, contrairement à la logique des révolutions éclairs des deux pays limitrophes. Nous sommes passés d’une manifestation pacifique de la jeunesse, réprimées dans toutes les villes du pays, à une insurrection militaire alimentée par une logique clanique.
D’un côté, l’armée a tout simplement rejoint les manifestants et les a armés, les transformant ainsi en rebelles. Et c’est joliment structuré: entrainement de volontaires, distributions d’armes, création de milices armées, objectifs de campagne. Tout y est et c’est professionnel.
Ce n’est pas une armée en débandade, mais une armée parfaitement organisée avec un objectif: recruter des civils avec la bienveillance des puissances occidentales qui envoient sur place leurs propres experts (avec plus ou moins de succès si l’on se réfère à la débandade des représentants britanniques).
Les militaires qui ont réalisé cela sont loin d’être irresponsables. Ils ont néanmoins pris le risque d’armer une population en sachant très bien qu’aucun retour en arrière ne serait alors possible, et que lorsque vous armez des civils, il faut ensuite des années pour leur ôter les armes.
Il en est de même du côté du clan Kadhafi. Les Libyens pro régime sont armés jusqu’au dents, renfloués par la télévision officielle diffusant des images de mères de famille avec des mitraillettes tirant en l’air, prêtes à tuer tous les «rats» qui oseraient sortir de leur trou. Dans ce contexte, on peut difficilement manifester à Tripoli. Plus besoin de s’émouvoir outre mesure, les gens qui meurent sont désormais des militaires!
Pour la plupart des opinions publiques, une guerre tribale est beaucoup plus acceptable qu’une répression contre des civils. Même le langage a changé: on parle de «loyaliste et d’insurgés», de batailles rangées, d’objectifs militaires, et de temps en temps de victimes civiles, mais de plus en plus rarement. En clair, tout est fait pour que l’aspiration du peuple libyen soit supplantée par une lutte de pouvoir tribale, en nous amenant gentiment à envisager une partition naturelle du pays en deux blocs géographiques.
Les calculs des puissances occidentales
Par coïncidence, les navires américains basés en Méditerranée sont les mêmes qui étaient au large de la Yougoslavie, une impression de déjà vu… Nous assistons de nouveau à des Républicains américains prônant une intervention militaire directe, alors que les Démocrates souhaitent une résolution des Nations Unies qu’ils savent pourtant impossible car tributaire de l’aval de la Russie et de la Chine. En bref, on risque de faire durer un petit moment la crise derrière laquelle se dresse le spectre d’un scénario de scission.
Le résultat factuel est le suivant:
- les opinions publiques occidentales sont entrain de relativiser la crise, permettant aux politiques d’être moins sous pression;
- les manifestations pacifiques dans les pays voisins sont moins visibles, et le message est «Calmez vous, regardez ce qui se passe en Libye»;
- une crise de longue durée semble s’installer, empêchant toute structuration d’un axe politique «Sud/Sud» entre les pays du Maghreb. Du coup, la France et la Ligue arabe relancent le processus méditerranéen qui semblait pourtant bien enterré;
- l’Algérie et l’Arabie saoudite semblent bénéficier d’un sursis et évitent une radicalisation de la contestation populaire, épargnant dans la foulée de violents soubresauts au marché mondial de l’énergie.
A qui profite donc cette évolution? Sans vouloir tomber dans la théorie du complot, cette réflexion cherche juste à proposer un éclairage complémentaire sur les événements aux frontières de notre pays. Il nous reste qu’à espérer de tout notre cœur avoir tort sur la durée de la crise, dont le lourd tribut en vies humaines sera payé par le peuple libyen.
Un impératif de réussite supplémentaire pour notre pays.