Dans ce texte écrit sous forme d’une lettre ouverte à un ami occidental, l’auteur explique les soubassements profonds de la révolte des Tunisiens et des Arabes auxquels l’Occident arrogant et infatué de sa supériorité n’est pas étranger. Par Mohamed Fadhel Mokrani


 

Cher ami,
Les événements que connaissent en ce moment plusieurs pays arabes ébranlent le monde et brouillent les cartes. Les médias, notamment occidentaux, les comparent à un tremblement de terre, à un tsunami, bref, à un cataclysme.
Nul doute que les révolutions tunisiennes et égyptiennes étaient imprévisibles et ont secoué plus d’un stratège. Nul doute que les chancelleries n’avaient pu voir venir la lame de fonds, même plusieurs jours après le début du soulèvement en Tunisie.
Alors que la révolution se déroulait au sud de la Méditerranée, les télévisions occidentales se perdaient en conjectures médiatico-populistes et les esprits éclairés invités sur les plateaux y allaient de leurs sempiternelles analyses à propos de soi-disant populations affamées ou d’augmentation du prix du pain et des denrées de base.
Pour le cas de la Tunisie, pendant près d’un mois, les journaux télévisés français rapportaient que les «émeutes» continuaient dans plusieurs villes du pays et faisaient le décompte macabre des morts et des blessés.
Pendant que les manifestants criaient leur désir de liberté et de dignité, pendant que deux millions de jeunes tunisiens réinventaient chaque jour la révolution électronique sur Twitter et Facebook, certains bons samaritains proposaient leur savoir-faire répressif à nos tortionnaires.
Aujourd’hui, les analystes occidentaux tentent de comprendre, de dérouler le fil et de déterminer les causes, les signes précurseurs et les effets de ces révolutions.

Les causes insoupçonnées des révolutions
Cher ami,
Je ne vous écris pas cette lettre pour dénoncer le manque de discernement des médias occidentaux ni pour vous convaincre que même les peuples du sud sont aptes à manifester sans se ruer désespérément dans des émeutes incontrôlées et sauvages.
Je vous écris pour vous faire partager mon point de vue sur un aspect jamais abordés et qui vous éclairera, peut-être, sur les causes insoupçonnées de ces révolutions.
Face au despotisme, à la répression sauvage, au pillage des deniers publics et au chômage, les révolutionnaires ont opposé le droit à l’emploi, le désir de liberté, de justice et de démocratie. Ces revendications forment les ingrédients premiers de la révolution de la jeunesse arabe.
En Tunisie, la jeunesse a baptisé son soulèvement la révolution de la dignité et de la liberté. Après la chute de Ben Ali, l’Occident lui affublait le nom de la «révolution du jasmin», un nom plus exotique et plus touristique.
Cette jeunesse arabe opprimée dans son pays, aspire à la justice et à la liberté et se tourne vers cet Occident mythique, source d’inspiration et d’espoir.

Le fol espoir de la libération d’Al Qods
Des générations entières de jeunes arabes se sont senties trahies par cet Occident qui s’évertuait, sans se fatiguer, à détruire leurs rêves. Si vous demandez à un jeune arabe, quelle est la plus grande injustice commise dans l’histoire de l’humanité, il vous répondra sans hésitation, la Palestine.
Le soutien et l’aide inconditionnels que cet Occident accorde à Israël sont une autre cause de révolte.
Les vetos innombrables et insensés que les Etats-Unis opposent à chaque résolution qui condamne Israël sont aussi une cause de révolte.
La collusion entre l’occident et l’Etat sioniste aux niveaux politique, militaire et financier est également une cause de révolte.
Chaque enfant Palestinien assassiné est une cause de révolte.
Chaque olivier arraché, chaque maison détruite, chaque jeune palestinien arrêté, chaque nouvelle colonie de peuplement, chaque bombe lancée sur des civils est une cause de révolte.
Et puis, il y a eu Gaza et le massacre, les bombes au phosphore blanc, les bébés fauchés par les obus de chars d’assaut, et enfin le blocus criminel, autant de causes de révolte.
On se rappelle l’Irak et ses canons géants, ses bombes atomiques et ses armes chimiques et bactériologiques, et ses centaines de milliers de morts. Puis les guerres incompréhensibles de l’Afghanistan, du Pakistan. Hier encore le Soudan était démembré et le Darfour est en voie de l’être.
J’ai oublié le Liban et son tribunal international, la Somalie et ses seigneurs de la guerre, l’Iran qui tient tête aux multiples pressions et embargos et encore et encore…
Sachez, cher ami, que pendant les trois derniers mois, jamais un manifestant à Tunis ou au Caire n’a exhibé des slogans anti-américains ou brûlé le drapeau étoilé. Mais soyez assuré que dans la tête de chaque jeune manifestant germait l’espoir de la libération d’Al Qods après la libération de son être. En cela, la politique des deux poids, deux mesures de l’Occident devient claire et compréhensible.
La justice est une, universelle et indivisible. Les peuples souffrent de l’injustice d’où quelle émane, et la Palestine est le symbole de l’injustice et de la souffrance. On crie, on pleure et on se révolte devant autant d’inhumanité d’asservissement et d’oppression.
Voilà ce que j’appelle la deuxième ligne du front des protestations et des causes du ras-le-bol qui marquait les révolutionnaires de nos pays. Ignorer celles-ci confirmera la justesse de leur cause et alourdira l’insulte faite à l’intelligence de la femme et de l’homme arabe.

* - Les intertitres sont de la rédaction.