Le président de la république tunisienne doit être né de quatre grands-parents tunisiens. Un binational ne peut pas être membre du bureau politique d’un parti. Le nouveau code électoral proposé par l’équipe de Yadh Ben Achour interdit à un Tunisien naturalisé d’être candidat à l’assemblée constituante, et qu’en sera-t-il, plus tard, de la Chambre des députés?
Les Tunisiens, qui ont tous les mêmes obligations devant la loi, n’ont pas les mêmes droits… Ces textes instituent de fait des grades dans la nationalité tunisienne: il y a des Tunisiens de 1ère zone et puis, il y a des Tunisiens de 2e zone…
Des textes constitutionnels faits sur mesure
Nous connaissons tous les dérives que constituent les amendements successifs introduits dans la constitution par Bourguiba et Ben Ali dans le seul but de se maintenir à tout prix au pouvoir et écarter des concurrents potentiels. Concernant la nationalité, l’article 40 rédigé du temps de Bourguiba stipulait que le président devait être de père et de grand-père paternel tunisiens, ce qui permettait d’écarter le bey et sa famille. En 1988, Ben Ali a renforcé cet article, en exigeant que les quatre grands-parents du candidat à la présidence soient Tunisiens, ce qui revenait à écarter Habib Bourguiba junior.
La constitution égyptienne version Moubarak stipulait que le président devait être de deux parents égyptiens. Une modification, introduite par les amendements récents du mois de mars, ajoute que le candidat ne doit pas être marié à une épouse autre qu’égyptienne (Suzanne Moubarak a une double nationalité) et que ni lui ni l’un de ses parents ne doit avoir eu une autre nationalité. Cet amendement, qui exclut implicitement les femmes de la présidence, vise clairement à rendre impossible le retour de Moubarak ou l’accès à la présidence de son fils. Ces personnages hautement corrompus n’ont, de toute évidence, plus rien à faire dans la vie politique égyptienne, mais est-ce par le biais de textes constitutionnels faits sur mesure qu’on doit les en empêcher?
Le terrain pernicieux de «l’identité nationale»
Le pouvoir de nuisance de Leila Ben Ali a été bien plus fort que celui de Suzanne Moubarak, et pourtant elle n’avait aucune ascendance étrangère… Ces textes sur mesure sont-ils vraiment à même de garantir que l’élu(e) sera honnête, compétent et attaché avant tout à l’intérêt du pays?
Allons-nous voir se développer le concept de «tunisianité» à l’image de l’«ivoirité » pour exclure de la vie politique toute personne ayant une ascendance étrangère? L’histoire récente de la Côte d’Ivoire montre la dangerosité de ce concept.
Si les Etats-Unis avaient eu le même code électoral que le nôtre, Barack Obama n’aurait pas pu être président … En France, tous les Français sont égaux devant la loi. Raymond Forni qui a été président de l’assemblée nationale (2000 – 2002), est né de parents tous les deux italiens, et a été naturalisé à l’âge de 17 ans. Les tentatives gouvernementales récentes d’entraîner la France sur le terrain pernicieux de «l’identité nationale» et de la discrimination ont heureusement échoué devant la résistance de la population.
Le monde est parcouru par des courants contradictoires. Les démons de l’extrême-droite rôdent autour des pays européens, l’intégrisme religieux est très fort aux Etats-Unis, en Afghanistan, en Iran… Mais heureusement, il y a aussi des courants porteurs de progrès, d’humanité, de fraternité.
Une identité forte, dynamique et ouverte
C’est ainsi que nous rejetons vigoureusement ceux qui en France pourchassent les Roms et regardent avec suspicion les Français naturalisés et les Français musulmans ; nous rejetons les Etats-Unis de Bush, l’invasion de l’Irak au nom de la lutte contre «l’axe du mal», et les intégristes qui brûlent le Coran… Mais nous aimons la France progressiste, les Français qui soutiennent les peuples dans leur libération, ceux qui mènent des actions de solidarité en France ou dans d’autres pays. Nous aimons l’Amérique généreuse, ouverte, qui a permis l’élection d’Obama et l’état d’esprit qui a permis à ce dernier de prononcer le discours du Caire …
La Tunisie a toujours été une terre d’accueil pour des populations et des cultures diverses. Elle a eu le génie de savoir les intégrer, sans perdre son âme, mais en l’enrichissant au contraire par les apports nouveaux ; elle a su garder une identité forte, parce que dynamique et ouverte aux évolutions et aux influences diverses.
Notre pays a mené la 1ère révolution de ce siècle, une révolution d’un type nouveau, sans chef, mais conduite par toutes les composantes, unies, de la population. Son exemple a entraîné la révolution égyptienne et des processus révolutionnaires dans un grand nombre de pays arabes. Tous les pays du monde ont maintenant les yeux rivés sur elle, ce qui lui confère une véritable responsabilité historique. Quel visage voulons-nous offrir au monde? Celui d’une Tunisie frileuse, refermée sur elle-même, différenciant ses citoyens suivant les certificats de naissance de leurs ascendants? Ou bien celui d’une Tunisie ouverte, généreuse, accueillant tous ses citoyens et acceptant que tous la servent? Les électeurs ne voteront pas pour des candidats étrangers à eux par la mentalité ou la culture… Faisons-leur confiance pour porter leurs voix vers ceux de leurs concitoyens qui font preuve de compétence, de probité, d’attachement à l’intérêt du pays et de bonnes idées pour le faire progresser!