La devise de la République Tunisienne est «Liberté-Ordre-Justice». Pour la liberté et la justice, le bilan est accablant depuis l’indépendance et il est allé en s’aggravant ces dernières décennies. Mais ce qui est frappant dans cette devise nationale, c’est le mot central «ordre» – vague allusion à la dualité positiviste de l’ordre et du progrès d’Auguste Comte – comme si le peuple tunisien était considéré comme un adolescent dissipé dans une cour d’école, à qui il fallait rappeler le règlement de l’établissement. Que vient faire un tel «mot d’ordre» entre deux valeurs aussi belles et universelles que la liberté et la Justice?
Faillite morale et désordre financier de l’Etat
En effet, le droit à la sécurité est incontestable et le désordre est condamnable mais il ne s’agit en aucune manière d’une valeur universelle, tout au plus une des missions essentielles que doit assurer l’administration.
C’est pourtant au nom de cet ordre présumé que les droits élémentaires du citoyen ont été bafoués depuis l’indépendance et plus particulièrement depuis 1987: disparitions, emprisonnements politiques, tirs à balles réelles sur manifestants et assassinats de sang froid, cas multiples de torture, corruption généralisée des plus hautes instances gouvernementales et du système judiciaire, rackets et chantages en tout genre, délits d’initiés et privatisations frauduleuses, pillages et recels du patrimoine national, monopolisation du pouvoir par un clan et ses complices, statistiques truquées, propagande intérieure et extérieure mensongère... tout ça pour s’enrichir impunément et assouvir un appât du gain insatiable.
Après cette faillite morale et ce désordre financier de l’Etat tunisien à travers de tels agissements, il va falloir reconstruire à partir des fondations pour espérer redorer un jour son blason et lui faire recouvrer une réputation avantageuse.
Cet Etat tunisien moderne que le Premier ministre actuel a contribué à construire dans les années 60 en se souvenant combien la tâche était ardue, faute d'expérience et d’encadrement: «Nous étions des bleus», disait-il.
Un peu de volonté, de bon sens et de civisme.
Mais aujourd’hui la donne a changé car le pays dispose d’une pléthore de cadres et de diplômés de l’enseignement supérieur et il bénéficie de l’expérience des échecs cuisants qu’il a subis à cause d'une direction médiocre.
Avec la globalisation et le formidable essor des technologies de la communication, de l’internet ou des chaînes satellitaires, la démocratie et l’Etat de droit ne sont plus pour les Tunisiens des concepts incompréhensibles ou utopiques mais tout juste le minimum syndical auquel ils aspirent.
Est-ce un problème insurmontable d’organiser des élections honnêtes et transparentes, de respecter la constitution, d’avoir un appareil judiciaire indépendant et intègre, une police en charge de défendre les citoyens et non de les opprimer, d’instaurer la pluralité politique et l’alternance, de lutter contre la corruption, de promouvoir des médias libres et de qualité, d’éduquer nos enfants en leur inculquant l’éthique, le goût de l’innovation et la connaissance de leur civilisation? Non! Il faut juste de la bonne volonté, du bon sens et du civisme.
«Vouloir c’est pouvoir» dit le proverbe. Eh bien, c’est la volonté du peuple tunisien de vivre en démocratie dans le cadre d’un Etat de droit et il devrait donc y parvenir.
Alors, ne présentons pas la tâche plus ardue qu’elle n’est véritablement car si les pays de l’Europe de l’Est et la plupart de ceux d’Asie du Sud-Est l’ont fait sans grande difficulté malgré l’héritage du communisme ou des particularismes culturels, il n’y a aucune raison que le Tunisie n’y arrive pas. Encore faudra-t-il respecter à l’avenir la volonté du peuple tunisien et cesser de l’infantiliser car… nous ne sommes plus des bleus!