Dr Lilila Bouguira écrit - Texte écrit à l’occasion de la marche programmée aujourd’hui par les amis du Belvédère pour appeler à la protection de ce parc.
Je voudrai écrire aujourd'hui sur un ton gai moins acéré et plus optimiste pour ne point tomber dans la paranoïa de voir partout le mal et le laid.
Je voudrai que l’on ne me scotche pas de la cape du hibou du malheur ni du mauvais présager.
Je voudrai redevenir aphone pour ne pas apprendre à parler de la démocratie mirage et de la liberté.
Je voudrai rester myope pour ne pas discerner les formes de l’injustice, de la manipulation, du laisser-faire, du viol et du vol qui continue à distiller.
Je voudrai retomber dans l’amnésie des temps passés pour ne pas me remémorer les nouveaux abus, les tromperies, les supercheries, le double langage, les langues de bois qui continuent à nous truander.
Je voudrai renaître sourde pour ne pas écouter nos médias inchangés, nos ministres déphasés.
Mais je ne voudrai perdre aucunement mes sens de la perception, mon odorat pour les senteurs uniques de mes jardins décimés, du jardin de mon enfance, de mon Belvédère.
Je voudrai vous parler de ce parc centenaire qu’est mon Belvédère, véritable poumon de ma ville tant convoité que l’appétit glouton de Ben Ali et son illustre épouse a failli avaler. Celle-ci projetait de se l’approprier ainsi qu’à sa famille affamée de biens fonciers, de séquestration et de vols légitimés.
Un véritable ballon d’oxygène, mon Belvédère qu’on tente aujourd’hui d’asphyxier.
Pourtant Zaba est parti, ses vandales aussi, on pensait, mais ses démons continuent à hanter ce parc d’attraction, certes tombé dans le populo à force de banalisation, de non aménagement et de véritables fonds pour sa sauvegarde.
En effet, il est plus devenu le jardin des pauvres et des clodos, des chômeurs et des amoureux à deux sous.
Sa Kobbet El Haoua ou pavillon de style arabo-andalou datant du XVIIe siècle, un refuge éloigné pour une partie speed de jambes en l’air, un kif ou une assemblée non autorisée ou encore une improvisation de poète.
Et pourtant, il continue à accaparer sans la bonne volonté de l’ancien gouvernement une masse non négligeable de la population, des familles pas très chics ni friquées mais qui s’accrochent à ce minimum de luxe encore possible pour respirer à plein poumon un maximum d’air frais sans grand coût. Il reste bon gré mal gré le Belvédère des pauvres et des moins pauvres, des clodos et des intellos, des amants et des amoureux, des grands et petits dans un tour de manège aux voiturettes en bois tellement traditionnelles mais tellement belles. Un tour sur le lion non sur le cheval ou encore dans la calèche de cendrillon sinon une virée chez les canards avec du kaki acheté chez le marchand ambulant.
Mieux encore c’est la montée à contre vent vers la gazelle langoureuse, poches et mains remplies de feuilles mortes et de miettes de pain. Sinon, c’est les grimpées vers un arbre majestueux ou encore ce caroubier dioïque friand aux fruits verts sombres tirants sur le rouge.
C’est le Belvédère des ces enfants en habits du dimanche ou surtout des fêtes de l’aïd avec cette flambée de marchands nouvellement convertis pour l’occasion avec ces ballons rouges bleus verts et multicolores ou ces fusils en caoutchoucs ou encore ces pistolets à «fouchic» détonnant .
C’est le Belvédère de nos campings en famille modeste et pauvre, une nuée d’enfants, une nappe, du pain blanc, des olives et quelques accompagnements.
C’est le Belvédère des mes cinq pierres, de l’élastique et de la corde à un seul ou deux pieds sur les flancs gazonnés du parc de mon enfance pas très dorée.
C'est encore le parc de nos jeux de cache-cache derrière un saule ou palmier ou encore nos chasses espiègles non pas cette fois à la sorcière mais pour ces couples en panne de coins discrets. Nous hurlions de joie, coquines et coquins, à chaque surprise de baiser, car les temps étaient à la pudeur et à la retenue. Nous aimions jouer dans la cour des grands.
C'est également le Belvédère d’une partie de billes ou de devinettes ou du terrible jeu du voleur et du justicier avec des humeurs qui se dégradent et des crépis de chignon.
C’est encore le Belvédère de nos bleus, de nos rires et de nos aventures et tendres mésaventures.
C'est également le Belvédère de nos amours, de nos révisions car faute d’espace dans nos maisons, le parc se transformait en vaste bibliothèque pour indigent.
C’est également le Belvédère de nos balades au printemps et même l’été pour rechercher une brise ou de l’ombre à bon marché.
Et c’est fatalement ce même Belvédère que des usurpateurs veulent saigner en s’appropriant des terrains pour construire des maisons profitant de la confusion où baigne mon pays après la fuite de Zaba dans ce vaste parc relevant du patrimoine.
Suceurs de sang et pilleurs d’avant continuent la politique d’appropriation sans honte ni scrupule mais dans un empressement mesuré et une cupidité sans précédent.
A ceux là, je hurle:
Au maire de la ville de Tunis, je menace:
A notre gouvernement actuel, je crie:
Qu’on ne me vole pas ma sainte révolution.
Qu’on ne me voile pas mon présent.
Qu’on ne musèle plus mes écrits ni mes propositions.
Qu’on ne diabolise pas mes idéologies ni mes aspirations.
Qu’on ne vampirise pas mes acquis ni mes enfants.
Et pour finir surtout ne touchez pas à mon Belvédère!