Depuis le 14-Janvier, de nombreux hauts responsables étrangers se sont succédé sur le tarmac de Tunis-Carthage et nous avons accueilli Hillary Clinton et Ban Ki Moon la même semaine, alors qu’Alain Juppé devait différer son séjour pour cause de surbooking... Mais ce sont aussi de grands groupes industriels mondiaux qui ont manifesté leur intérêt pour la première fois pour l’investissement en Tunisie. Plus encore, des pétitions internationales pour accorder le prix Nobel de la Paix à Mohamed Bouazizi ou au peuple tunisien ont fleuri sur Internet et cette éventualité est tout à fait envisageable.
Mais ne nous faisons pas d’illusions, cet élan de sympathie ne durera pas indéfiniment et la notoriété nouvelle de la Tunisie et sa réputation rayonnante courent le risque de fondre comme neige au soleil si les conflits sociaux devaient perdurer et si nous ne passions pas avec succès le cap démocratique dans les plus brefs délais.
Le recours à l’arbitrage et à la médiation
Pour ce faire, nous préconisons davantage de dialogue social entre partenaires sociaux et plus de méthode de la part des autorités.
A cet effet il serait judicieux pour le gouvernement de transition de nommer des arbitres crédibles et chevronnés pour sortir de l’impasse ces conflits sociaux qui s’accumulent.
Par exemple, dans le secteur privé, il devient contre-productif de laisser les syndicats ou les employés face aux entrepreneurs désemparés et il conviendrait de développer des procédures prudhommales ou arbitrales pour chercher des solutions pratiques et raisonnables.
Le cas du bassin minier est éloquent et nécessite un médiateur pour essayer de rapprocher les parties et imaginer un plan de sortie de crise innovant. Il en va de même pour les plaintes légitimes des victimes de la pollution chimique à Gabès. Le recours à l’arbitrage et à la médiation doit être systématique et constituerait une soupape de sécurité pour éviter le pourrissement des situations explosives en les confrontant avec dextérité et imagination.
La société tunisienne est fondamentalement consensuelle et la démocratie originale que nous souhaitons voir éclore dans notre pays devrait s'appuyer sur cette méthode pragmatique.
Hélas, trop d’affaires sont laissées sans réponse et ne sont pas élucidées à ce jour et on ne sait toujours pas qui sont les commanditaires des basses besognes et autres manipulations nuisibles à l’image de la révolution. Ce manque de transparence nuit indéniablement à la concorde sociale, alimente les inquiétudes et provoque des poussées de fièvre.
Par ailleurs, la lutte contre l’émigration sauvage doit passer par un message d’espoir aux jeunes sans travail et par une action ferme contre les réseaux mafieux qui alimentent ce négoce infâme. C'est la vie de centaines de compatriotes qui est en jeu, quand on sait que ces trafiquants n’hésitent pas à empiler dangereusement jusqu’à 100 passagers sur des embarcations de fortune dans le but de se faire un pécule de plus de 500.000 dinars sur un seul voyage. Sans parler de l’image négative que ce phénomène projette sur la Tunisie.
Heureusement que la formidable solidarité et la légendaire hospitalité des villes du sud tunisien face à l’exode engendré par la guerre en Libye a permis de compenser largement tous ces accrocs et de garder intacte la réputation flatteuse de la révolution tunisienne.
Faire fructifier l’élan de sympathie envers notre pays
Il est encore temps de faire fructifier l’élan de sympathie envers notre pays dans le monde, à condition de sortir le plus rapidement possible du flou constitutionnel actuel et de ne pas remettre en cause le calendrier électoral fixé il y a un mois dans l’approbation générale. Car rien n’indique que la situation sécuritaire serait meilleure en automne que lors des quatre prochains mois et, au contraire, elle risquerait probablement d’empirer si les élections de la Constituante devaient être repoussées. Il y a urgence à renouer avec une pleine et entière légitimité des autorités afin par exemple d’accueillir la Conférence de Carthage et les éventuels contributeurs; ce qui devrait faciliter l’allègement de notre dette extérieure actuelle ainsi que la mise en place de nouvelles formes de soutien à l’économie tunisienne.
Les investisseurs étrangers et les entreprises multinationales qui ont mis la Tunisie dans le champ de leur radar ne le feront pas indéfiniment et il ne faudrait pas regretter un jour d’être passé de mode.
Plus vite les incertitudes gouvernementales seront levées et plus vite les problèmes économiques et sociaux pourront être sérieusement confrontés. Car le rôle du gouvernement de transition est uniquement de parer au plus urgent et de conduire au plus vite le pays à la stabilité constitutionnelle. N’allongeons pas plus qu’il n’en faut cette mission de dépannage.
C’est aussi la prospérité future du pays qui est en jeu dans ce processus de démocratisation qui, s’il se déroule rapidement et en souplesse, fructifierait de manière optimale la révolution tunisienne et son image rayonnante.
Pour le bien des générations futures sachons protéger précieusement cette image qui a remis contre toute attente la Tunisie sur la carte mondiale.