Akram Belkaïd écrit - Alors que le monde arabe réclamait hier encore la chute du régime de Kadhafi, il dénonce aujourd’hui l’intervention occidentale.  


Si la manière dont nombre d’Arabes réagissent à l’intervention de la coalition internationale en Libye peut paraître déroutante, elle n’est guère surprenante.
Hier, les uns et les autres, de Rabat au Caire en passant par Paris ou Londres, appelaient à renverser Kadhafi et vitupéraient contre l’Europe et les Etats-Unis, coupables de ne pas porter secours aux rebelles et populations civiles de Benghazi.

Quoiqu’il fasse, l’Occident a toujours tort
Quelques heures à peine après les premiers bombardements, voilà que les bons vieux réflexes antioccidentaux reprennent le dessus: on reparle de l’Irak et de l’Afghanistan, voire même du Liban des années 1980, et on crie au complot américain.
Cela en dit long sur l’absence totale de confiance à l’égard de l’Occident: quoi que fasse ce dernier, il est coupable. Certes, personne ou presque ne défend Kadhafi, mais on sent bien la gêne – pour ne pas dire l’hostilité – à l’encontre des frappes aériennes.
Sur Internet, ce n’est plus la folie sanguinaire du dictateur libyen qui est dénoncée, mais l’existence possible d’un plan occidental – mûri depuis longtemps, bien entendu – pour prendre le contrôle du pétrole libyen, ou même pour recoloniser l’Afrique du nord. Du coup, l’observateur s’attend même à ce que le guide de Tripoli devienne soudain sympathique et qu’on lui concède les habits de la victime.
Quelle versatilité! Quelle propension à oublier ce que l’on exigeait la veille! Quelle capacité à perdre de vue l’essentiel, qui reste le sauvetage de Benghazi! Quelle naïveté aussi. En appelant à l’aide les Occidentaux, qui pouvait croire qu’ils se contenteraient d’un engagement «light»?
Quand on entend Amr Moussa, le secrétaire général de la Ligue arabe, se plaindre que les raids vont au-delà de l’objectif d’imposition d’une zone d’exclusion aérienne, on a envie de lui demander «mais, qu’espériez-vous?». D’abord, une telle zone implique la destruction de tout moyen au sol capable de neutraliser un avion de la coalition. Ensuite, quel serait l’intérêt de cette «no-fly zone» si les obus d’artillerie de l’armée de Kadhafi continuent de dévaster les positions des rebelles?

Mesurer les conséquences avant de prendre position
La guerre n’est pas un jeu. Elle ne peut être propre, elle ne peut être chirurgicale. Ceux qui ont appelé à l’aide l’Occident pour sauver Benghazi, savaient – ou auraient dû savoir – que des civils, de Tripoli ou d’ailleurs, en paieraient le terrible prix. C’est l’un des paradoxes de toute opération militaire. Même dans les films hollywoodiens, sauver des civils provoque presque toujours la mort d’autres civils…
Certains sont peut-être allés trop vite dans leur souhait de voir Kadhafi tomber grâce à une intervention extérieure. Ils réalisent aujourd'hui que prendre position nécessite d’en mesurer toutes les conséquences. C’est cela la maturité. En manquer, c’est être l’otage d’une émotivité et d’une versatilité qui ne cessent de nuire aux peuples arabes.
Regardons la réalité en face: les rebelles libyens n’ont pas été capables de vaincre Kadhafi. Ils n’ont pas réussi à faire ce que les Tunisiens ou les Egyptiens ont réalisé, et c’est bien dommage pour la Libye. De plus, comme le relève le site ‘‘Maghreb Emergent’’, les Arabes n’ont pas été capables de régler seuls cette affaire. Même chose pour les Africains et leur Union africaine qui ne sert à rien. Pour sauver Benghazi, le recours à l’Occident était nécessaire.

L’enjeu en vaut la chandelle
Qu’importe que l’intervention de la coalition relève plus de l’improvisation que d’une véritable préparation stratégique – personne ne sait comment cette aventure militaire va se terminer. Qu’importe qu’elle profite électoralement à Nicolas Sarkozy (et c’est loin d’être garanti…). Qu’importe si les Etats-Unis ont désormais un argument supplémentaire pour implanter une base dans la région, qu’importe que le pétrole libyen passe sous contrôle étranger – de toute façon, il l’est déjà. L’enjeu en vaut la chandelle: il s’agit de sauver un mouvement populaire qui entend chasser un dictateur au pouvoir depuis 1969.
Plutôt que céder à un sentiment antioccidental primaire, ou, plutôt, à l’habituel anti-américanisme qui irrigue le monde arabe, il serait plus honnête d’assumer son soutien à une intervention que tout le monde a appelé de ses vœux.
Cela ne signifie pas qu’il faille baisser sa garde et faire confiance à la coalition –il est évident que certains de ses membres ont un agenda caché. Il est évident que le scénario de la partition de la Libye fait partie des hypothèses et qu’il a toujours figuré à portée de main des stratèges occidentaux. Mais faisons confiance au peuple libyen. Il saura chasser le tyran de Tripoli et restaurer, tôt ou tard, la souveraineté de son pays.

Source : ‘‘Slate Afrique’’.