Mohamed Bouanane écrit - Beaucoup d’encre a coulé au sujet du prochain régime politique de la nouvelle république tunisienne. Et par la même occasion, beaucoup de confusion dans les explications avancées sur les modes de scrutin et autres mécanismes électoraux.


La confusion la plus spectaculaire est celle que beaucoup d’intervenants, y compris les spécialistes du droit constitutionnel et autres experts (consciemment ou inconsciemment), font entre le régime politique et le mode de scrutin.

Minimiser le risque d’un éclatement électoral
Tous ceux qui sont contre le régime parlementaire affirment haut et fort que ce genre de régime mène à l’instabilité gouvernementale! Et, presque tous, donnent l’exemple de la quatrième république française ou de l’Italie. En revanche, ils oublient ou tentent de passer sous silence que beaucoup de régimes parlementaires, surtout ceux des royaumes européens, réussissent presque toujours à obtenir une majorité gouvernementale. Preuve, s’il en faut une, que tout régime politique peut mener à une instabilité gouvernementale si le mode de scrutin ne permet pas de minimiser le risque d’un éclatement électoral au sein du parlement.
Le  régime politique permet de définir l’approche de gouvernement d’un pays, et de ce point de vue, toute méthode a ses points forts et ses faiblesses. La meilleure approche est celle qui offre le maximum d’avantages dans un contexte particulier. Donc, parmi les critères de choix, il y a le contexte politique et sociétal. Ce contexte, en Tunisie, me semble pencher plus vers le contrôle du peuple, source de la légitimité suite à la révolution du 14-Janvier, de l’action gouvernementale.
Il faut dire que le régime présidentiel (et non pas présidentiable ou présidentialiste) peut offrir des garanties démocratiques s’il est très bien fortifié contre les abus par des contres pouvoirs nombreux et stricts. Comme pour le régime parlementaire, il a besoin d’un mode de scrutin qui assurera une majorité parlementaire au président élu. Imaginons, ce qui est très possible, que la couleur de la majorité parlementaire est différente de celle du président élu. Cela s’appelle la cohabitation, et peut immobiliser un pays, de surcroit la Tunisie débutante sur le chemin de la démocratie.
Comment allons-nous résoudre ce problème dont le coût de l’immobilisme sera plus élevé en Tunisie que dans un autre pays ayant une expérience démocratique très ancienne et très évoluée, tels que les Etats Unis ou la France? Allons-nous refaire les élections jusqu’à obtenir une harmonie entre le parlement et le président, ou accepter de vivre 5 ou 4 ans d’instabilité, de blocage et peut-être de coups bas entre les différents partis politiques?! On ne peut se permettre ce genre de situation en Tunisie.

Eviter la situation du ni présidentiel ni parlementaire,
D’autres proposent le régime semi-présidentiel. Si cela veut dire élire un président au suffrage universel qui nommera un Premier ministre selon la majorité parlementaire, alors on aboutit aux ingrédients d’un régime parlementaire. Autant éviter, dès le départ, cette situation du ni-ni: ni présidentiel, ni parlementaire, cela risque d’offrir un système «bâtard» en combinant les inconvénients des deux régimes sans en profiter des avantages.
Le régime parlementaire est donc le système le plus adéquat dans le contexte de la Tunisie, d’autant que le peuple n’a plus envie, après deux expériences malheureuses, de donner un chèque en blanc à une seule personne pour décider de sa destinée, fût elle la plus intègre, la plus compétente et la plus intelligente.
Ce genre de régime, où le pouvoir des élus est renforcé pour contrôler l’exécutif, est très adapté à la situation tunisienne. Outre le pouvoir législatif, les élus ont à leur disposition tous les outils d’évaluation et de vérification des réalisations faites par le gouvernement. Pour cela, la responsabilité politique liée à l’exercice du pouvoir exécutif doit être du ressort du Premier ministre qui doit répondre de ses activités devant le parlement. Ainsi, l’exécutif sera formé par une majorité élue ou une alliance qui se dégagera au sein du parlementaire.
Dans ce régime parlementaire, le président, élu au suffrage universel, jouera le rôle d’arbitre garant de l’unité nationale, du bon fonctionnement et de l’indépendance des institutions, et de la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Il aura quelques pouvoirs très limités et sans rôle exécutif tels que, par exemple le commandement des forces armées et la présidence du conseil national de sécurité. Il promulguera les lois votées et adoptées par le parlement et pourra saisir le conseil constitutionnel.

Simplifier le système de scrutin
Qu’en est-il du mode de scrutin? Comme il a été expliqué ci-dessus, le régime politique ne peut être responsable de la stabilité ou l’instabilité gouvernementale, et c’est le mode de scrutin qui permet d’assurer la cohérence de la futur majorité gouvernementale, du moins minimiser les risques d’instabilité. Que faut-il donc choisir entre un mode uninominal ou de liste, et entre un mode majoritaire ou proportionnel? Le meilleur mode de scrutin est celui qui combine la simplicité et l’efficacité. Il doit permettre à la fois de refléter la diversité d’opinions dans le pays, donc la représentativité, et de garantir l’émergence d’une majorité pour gouverner de manière la plus stable possible. Ceci n’est possible que grâce à la combinaison de plusieurs modes dans la même élection. L’idée est d’avoir le même jour une élection nationale sous forme de liste au scrutin majoritaire (il faut obtenir 50% plus une voix – donc possibilité d’un deuxième tour) pour la moitié des sièges du parlement, et une élection locale, uninominale par circonscription à un seul tour (le candidat obtenant le plus de voix sera élu) pour l’autre moitié des sièges. Cette double élection permettra à la fois de garantir une majorité parlementaire (liste nationale au scrutin majoritaire) et de respecter la représentativité des courants et sensibilités (scrutin local et uninominal).
Pour ce qui est de l’élection de la constituante, certains proposent un scrutin sur la base de listes nationales à une seule circonscription (tout le territoire) et d’autres préfèrent un scrutin uninominal, donc à plusieurs circonscriptions locales. La première proposition permettra d’instaurer un débat national, alors que la seconde limitera le poids des partis politiques et offrira une plus grande représentativité. En revanche, pour éviter les inconvénients de l’une (pas de représentativité des sensibilités et des régions) et de l’autre proposition (éparpillement des voix et risque d’absence d'une majorité, en plus du temps nécessaire au découpage des circonscriptions), il est plus judicieux de simplifier le système de scrutin proposé ci-haut (option 1) en partageant la moitié des sièges à la proportionnelle entre les deux ou trois premières listes nationales, et en adoptant le scrutin majoritaire à un tour à base de listes régionales (par gouvernorat) pour l’autre moitié, ou alors inverser le mode de scrutin (option 2) en adoptant le mode majoritaire à l’élection nationale et le mode proportionnel en régions. Cette combinaison permettra à la fois d’instaurer un débat national, et de garantir plus de représentativité en donnant une vraie parole aux compétences locales.

* Directeur de Consulting Stratégique.

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Quel régime politique en Tunisie et quel mode de scrutin?

Beaucoup d’encre a coulé au sujet du prochain régime politique de la nouvelle république tunisienne. Et par la même occasion, beaucoup de confusion dans les explications avancées sur les modes de scrutin et autres mécanismes électoraux. Par Mohamed Bouanane

La confusion la plus spectaculaire est celle que beaucoup d’intervenants, y compris les spécialistes du droit constitutionnel et autres experts (consciemment ou inconsciemment), font entre le régime politique et le mode de scrutin.

Minimiser le risque d’un éclatement électoral
Tous ceux qui sont contre le régime parlementaire affirment haut et fort que ce genre de régime mène à l’instabilité gouvernementale! Et, presque tous, donnent l’exemple de la quatrième république française ou de l’Italie. En revanche, ils oublient ou tentent de passer sous silence que beaucoup de régimes parlementaires, surtout ceux des royaumes européens, réussissent presque toujours à obtenir une majorité gouvernementale. Preuve, s’il en faut une, que tout régime politique peut mener à une instabilité gouvernementale si le mode de scrutin ne permet pas de minimiser le risque d’un éclatement électoral au sein du parlement.

Le  régime politique permet de définir l’approche de gouvernement d’un pays, et de ce point de vue, toute méthode a ses points forts et ses faiblesses. La meilleure approche est celle qui offre le maximum d’avantages dans un contexte particulier. Donc, parmi les critères de choix, il y a le contexte politique et sociétal. Ce contexte, en Tunisie, me semble pencher plus vers le contrôle du peuple, source de la légitimité suite à la révolution du 14-Janvier, de l’action gouvernementale.

Il faut dire que le régime présidentiel (et non pas présidentiable ou présidentialiste) peut offrir des garanties démocratiques s’il est très bien fortifié contre les abus par des contres pouvoirs nombreux et stricts. Comme pour le régime parlementaire, il a besoin d’un mode de scrutin qui assurera une majorité parlementaire au président élu. Imaginons, ce qui est très possible, que la couleur de la majorité parlementaire est différente de celle du président élu. Cela s’appelle la cohabitation, et peut immobiliser un pays, de surcroit la Tunisie débutante sur le chemin de la démocratie.

Comment allons-nous résoudre ce problème dont le coût de l’immobilisme sera plus élevé en Tunisie que dans un autre pays ayant une expérience démocratique très ancienne et très évoluée, tels que les Etats Unis ou la France? Allons-nous refaire les élections jusqu’à obtenir une harmonie entre le parlement et le président, ou accepter de vivre 5 ou 4 ans d’instabilité, de blocage et peut-être de coups bas entre les différents partis politiques?! On ne peut se permettre ce genre de situation en Tunisie.

Eviter la situation du ni présidentiel ni parlementaire,

D’autres proposent le régime semi-présidentiel. Si cela veut dire élire un président au suffrage universel qui nommera un Premier ministre selon la majorité parlementaire, alors on aboutit aux ingrédients d’un régime parlementaire. Autant éviter, dès le départ, cette situation du ni-ni: ni présidentiel, ni parlementaire, cela risque d’offrir un système «bâtard» en combinant les inconvénients des deux régimes sans en profiter des avantages.

Le régime parlementaire est donc le système le plus adéquat dans le contexte de la Tunisie, d’autant que le peuple n’a plus envie, après deux expériences malheureuses, de donner un chèque en blanc à une seule personne pour décider de sa destinée, fût elle la plus intègre, la plus compétente et la plus intelligente.

Ce genre de régime, où le pouvoir des élus est renforcé pour contrôler l’exécutif, est très adapté à la situation tunisienne. Outre le pouvoir législatif, les élus ont à leur disposition tous les outils d’évaluation et de vérification des réalisations faites par le gouvernement. Pour cela, la responsabilité politique liée à l’exercice du pouvoir exécutif doit être du ressort du Premier ministre qui doit répondre de ses activités devant le parlement. Ainsi, l’exécutif sera formé par une majorité élue ou une alliance qui se dégagera au sein du parlementaire.

Dans ce régime parlementaire, le président, élu au suffrage universel, jouera le rôle d’arbitre garant de l’unité nationale, du bon fonctionnement et de l’indépendance des institutions, et de la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Il aura quelques pouvoirs très limités et sans rôle exécutif tels que, par exemple le commandement des forces armées et la présidence du conseil national de sécurité. Il promulguera les lois votées et adoptées par le parlement et pourra saisir le conseil constitutionnel.

Simplifier le système de scrutin

Qu’en est-il du mode de scrutin? Comme il a été expliqué ci-dessus, le régime politique ne peut être responsable de la stabilité ou l’instabilité gouvernementale, et c’est le mode de scrutin qui permet d’assurer la cohérence de la futur majorité gouvernementale, du moins minimiser les risques d’instabilité. Que faut-il donc choisir entre un mode uninominal ou de liste, et entre un mode majoritaire ou proportionnel? Le meilleur mode de scrutin est celui qui combine la simplicité et l’efficacité. Il doit permettre à la fois de refléter la diversité d’opinions dans le pays, donc la représentativité, et de garantir l’émergence d’une majorité pour gouverner de manière la plus stable possible. Ceci n’est possible que grâce à la combinaison de plusieurs modes dans la même élection. L’idée est d’avoir le même jour une élection nationale sous forme de liste au scrutin majoritaire (il faut obtenir 50% plus une voix – donc possibilité d’un deuxième tour) pour la moitié des sièges du parlement, et une élection locale, uninominale par circonscription à un seul tour (le candidat obtenant le plus de voix sera élu) pour l’autre moitié des sièges. Cette double élection permettra à la fois de garantir une majorité parlementaire (liste nationale au scrutin majoritaire) et de respecter la représentativité des courants et sensibilités (scrutin local et uninominal).

Pour ce qui est de l’élection de la constituante, certains proposent un scrutin sur la base de listes nationales à une seule circonscription (tout le territoire) et d’autres préfèrent un scrutin uninominal, donc à plusieurs circonscriptions locales. La première proposition permettra d’instaurer un débat national, alors que la seconde limitera le poids des partis politiques et offrira une plus grande représentativité. En revanche, pour éviter les inconvénients de l’une (pas de représentativité des sensibilités et des régions) et de l’autre proposition (éparpillement des voix et risque d’absence d'une majorité, en plus du temps nécessaire au découpage des circonscriptions), il est plus judicieux de simplifier le système de scrutin proposé ci-haut (option 1) en partageant la moitié des sièges à la proportionnelle entre les deux ou trois premières listes nationales, et en adoptant le scrutin majoritaire à un tour à base de listes régionales (par gouvernorat) pour l’autre moitié, ou alors inverser le mode de scrutin (option 2) en adoptant le mode majoritaire à l’élection nationale et le mode proportionnel en régions. Cette combinaison permettra à la fois d’instaurer un débat national, et de garantir plus de représentativité en donnant une vraie parole aux compétences locales.

* Directeur de Consulting Stratégique.