Abdallah Rihani* écrit de Montréal – Ce qui est spontané et ce qui est volontaire dans la révolution tunisienne du 14 janvier 2011: un hommage aux révolutionnaires.  


Le jour de la révolution en Tunisie, le 14 janvier 2011, est un jour mémorable. Voilà les Destouriens surpris par l’effondrement de l’édifice dictatorial qui les abritaient et qu’ils croyaient à l’épreuve de toutes les secousses naturelles ou humaines, éternel pour eux. Ils ont été confondus, et depuis la cinglante révolution du 14 janvier 2011, ils ne cessent de fomenter petites et grandes machinations pour sauver les meubles, autrement dit, pour maintenir le maximum d’anciens du Rcd parmi le personnel bureaucratique dirigeant les institutions nationales et régionales.

La déroute des «Dsètras»
Le peuple révolutionnaire a fait échouer ces petites manœuvres méprisables, tant il est vrai que le dégoût qu’inspirent ces gens, les «Dsètras», ne risquerait pas de disparaître du jour au lendemain ni même après de longues années.
Les tentatives destouriennes de faire du neuf avec le vieux n’ont pas été mises en déroute seulement par les révolutionnaires qui ont vaillamment occupé la place de la Kasbah et fait tomber gouvernement et Premier ministre.
Dans les régions, couvrant l’ensemble du pays, le réseau de communication des révolutionnaires a fonctionné à merveille et l’information sur les personnes nommées, leurs compromissions ou les méfaits qu’ils ont pu commettre sous le règne du dictateur ont été rapidement dévoilés et la population a exercé son droit, révolutionnaire et légitime, de chasser ses oppresseurs en attendant le jour de leur traduction en justice.
Beaucoup se sont accrochés au caractère spontané du mouvement de masse à ses débuts pour nier le rôle déterminant joué par les militants révolutionnaires pour mener le mouvement vers sa réussite.
Le déclenchement du soulèvement populaire tunisien, à ses débuts, pour un court laps de temps, fut spontané. Cependant la révolte spontanée, nourrie par l’indignation durant les premiers jours de décembre, s’était rapidement transformée en activité révolutionnaire déterminée à atteindre des objectifs politiques précis par une stratégie qui ne l’était pas moins, misant sur plus de manifestations bien organisées, disciplinées et pacifiques.
Il y avait eu une progression ininterrompue dans la mobilisation qui n’a pas débordé son encadrement malgré le nombre grandissant de martyrs. Les mots d’ordre étaient placés, sans détour et sans ambiguïté, sur le terrain politique. Les masses ont repris les mots d’ordre des groupes minoritaires persécutés, le rejet du dictateur, des familles qu’il protège et de son régime pourri en entier. Du travail de professionnels de la révolution discrets et efficaces, ils ne voulaient pas la gloire mais triompher de la dictature et des appareils de la terreur. C’était nouveau et surprenant, pendant que le peuple établissait la rupture radicale et définitive avec la peur et le recul devant la répression son action devenait bien ciblée, déterminée par des objectifs clairs, plus rien n’était plus spontané.

Nulle autre issue que la victoire ou le sacrifice
Le peuple veut faire tomber le régime! Un point de non-retour était franchi car les gens savaient que la dictature est vengeresse, sanguinaire et meurtrière comme une bête sauvage. Ils savaient que la dénonciation du dictateur et de sa famille ne leur sera pas pardonnée, une ligne rouge a été bafouée, de sorte que l’enjeu de la lutte se restreint, devient quitte ou double, sans autres issues que la victoire ou le sacrifice. Ce n’était pas une bonne nouvelle pour le dictateur.
Il est bien connu à travers le monde et tout au long de l’histoire depuis Rome et la lutte désespérée des esclaves, Berlin en 1918, Chili 1973 et Tunisie en 1978, bien des mouvements de révoltes spontanées et puissantes se font réprimer dans le sang et se font étouffer sans changer le cours des choses.
La spontanéité populaire chargée d’indignation, de révolte et de désir d’en finir avec l’état des choses ne suffit pas toujours à elle seule. La présence des militants révolutionnaires est une condition essentielle de réussite. Qu’ils soient en groupe ou même individuellement, ces militants font la différence. Il n’y a qu’à voir ce qui se déroule en ce moment en Libye pour constater qu’un élément essentiel a manqué à l’insurrection spontanée.

La jonction entre forces révoltées et forces révolutionnaires
La chance historique de la Tunisie, c’est la jonction parfaitement réalisée entre forces révoltées et forces révolutionnaires à l’œuvre depuis des décennies et qui n’ont jamais cédé devant la dictature. Ce sont des hommes et des femmes de divers horizons politiques, syndicalistes, marxistes révolutionnaires, Nahdaouis, communistes, islamistes, nationalistes arabes, baâthistes, nasséristes ou simples «électrons libres» assoiffés de justice et de liberté qui ont fusionné avec les masses en action.
Ces militants ont été les sources lumineuses qui ont rayonné autour d’elles, leur éclat ne s’est jamais éteint malgré les années de prison, la torture et de toutes les persécutions dont ils ont fait l’objet sous le régime du dictateur.
On peut dire aujourd’hui que si le peuple en révolte constitue la chair de la révolution tunisienne, les militants politiques «professionnels» au sens léniniste de ce mot, ont constitué la colonne vertébrale de la révolution. C’est là la chance de la Tunisie, une indignation généralisée et un travail de résistance politique et d’encadrement discret et efficace ont poussé les forces de la répression au désarroi et à la panique au bout d’une courte période de temps. L’appareil répressif devenait incapable de distinguer le corps de la tête du mouvement.
Incapable d’identifier un groupe particulier de révolutionnaires, de sévir contre une formation spécifique ou un parti politique isolé ou des meneurs qui se seront distingués, la répression a été mise en échec à ce niveau bien précis.
Aujourd’hui, la contre-révolution dit que la révolution tunisienne n’avait pas de dirigeants. Elle fait du déni, car ceux qui aujourd’hui forment les comités de protection de la révolution tunisienne sont ceux qui ont été au cœur du mouvement, soutenant les masses du début jusqu’à la fin, prêts à se sacrifier. Il ne sert à rien d’ignorer ce souffle chaud dans lequel le peuple, qui n’est pas dupe, s’est reconnu. À la fusion parfaite entre les masses et les groupes révolutionnaires tunisiens dans leur diversité s’ajoute la force de l’action simultanée et généralisée à l’ensemble du pays. Les syndicalistes révolutionnaires ont ici joué un rôle clé.
Bien entendu les régions minières Kasserine, Redeyef, Sidi Bouzid ont indéniablement, avant tout le monde, expérimenté le mouvement. Elles étaient en lutte depuis au moins deux longues années. Elles ont payé le prix fort de la révolution. Mais quand le peuple et la jeunesse du pays en entier sont descendus dans les rues, c’est partout et en en même temps. Ceci relève de l’organisation concertée plus que de l’action spontanée. C’est cette action bien menée qui a débordé les capacités répressives de la dictature malgré leur énormité.
Plus efficace par la suite était l’enchaînement des étapes et des revendications qui ont eu pour effet de renforcer le mouvement jour après jour jusqu’à la fuite du chef des truands.
Gloire au peuple, gloire aux révolutionnaires tunisiens qui l’ont animé avec dévouement et humilité.

Le parcours sans faute des résistants politiques
Il faut reconnaître aux organisations politiques résistantes un professionnalisme sans failles, une maîtrise incroyable du cours des évènements, une endurance admirable et un aboutissement salué par le monde entier.
La révolution tunisienne a été menée par des moyens pacifiques qui n’ont laissé aucune place à la déviation malgré la provocation des polices et malgré la violence des affrontements. Répétons-le, c’était un travail inventif, inédit, parfaitement adapté aux tactiques de l’ennemi et à ses stratégies de terreur.
De cette épreuve tous doivent reconnaître et saluer la retenue et l’effacement stratégique pertinent des militants du parti Ennahdha. Ils ont coupé l’herbe sous les pieds de ceux qui auraient voulu se présenter comme les protecteurs de l’Occident contre l’islamisme et les talibans.
Mais le courant progressiste, en particulier les marxistes, le Pcot, les militants syndicaux de diverses branches, ces militants qui agissaient au niveau de la base populaire depuis de longues années, tous se sont mis en retrait pour laisser la place à la jeunesse et au peuple.
Voilà qui les honore et leur fait gagner le respect et la reconnaissance de tous les Tunisiens et des Arabes en général.
Lorsque le dictateur paniqué envoie ses tireurs sur les toits, c’était le signe de son impuissance et de sa fin imminente, le peuple se rebelle, devient incontrôlable, c’est lui qui prend le contrôle.
On entend aujourd’hui les complices de l’horrible dictateur, ses anciens serviteurs et ministres, le sang des martyrs n’ayant pas encore séché, réécrire l’histoire et se présenter comme ceux qui ont sauvé le pays d’un bain de sang. Le peuple et les forces révolutionnaires qui ont consolidé son action savent bien que le bain de sang a bien eu lieu contre le peuple, avec près de 300 martyrs. Que les Destouriens aient la décence ou l’indécence de ne plus se présenter en sauveurs de qui que ce soit ou de quoi que ce soit. Ils sont, pour le moins, les complices actifs de la terreur qui a submergé le pays pour une durée de vingt ans sans que cela dérange leur sens du respect des vies humaines dont ils se réclament aujourd’hui.
Les révolutionnaires tunisiens, comme les frères égyptiens, libyens, yéménites et les autres, n’ont pas fini de surprendre tout le monde, ils sauront mettre en place les ressources et les stratégies qui protégeront la révolution et garderont l’initiative aux mains du peuple.  

* Analyste en politiques publiques vivant au Canada.
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* - Les titre et intertitres sont de la rédaction.