Hichem Jouaber (*) écrit – Pour appuyer les 17 mesures du programme de relance à court terme concocté par le gouvernement provisoire.


Une révolution n’a certes pas de prix, mais elle a un coût. Le coût de la nôtre commence à être élevé au vu des derniers chiffres sur la conjoncture économique tunisienne.
Il est temps de se mettre au travail,  d’arrêter les revendications corporatistes et individuelles à court terme, autrement nous allons vers la ruine et nous risquons de tout perdre y compris le sang de nos martyrs.
C’est avec ces quelques mots que j’ai souhaité commencer cet article car les chiffres de la conjoncture économique de la Tunisie post-révolution démontrent l’urgence de la situation et le besoin pressant d’agir pour retrouver rapidement ces points de croissance nécessaire pour créer des emplois et dynamiser l’économie.

Le temps perdu devient un facteur hostile
L’activité du tourisme, poumon de notre économie, a vu les nuitées à fin février s’effondrer de plus de 60% entraînant une baisse de 40% des revenus du secteur.
Quand aux investissements et aux créations d’entreprises il est évident que la confiance des investisseurs étrangers a baissé puisque les Ide enregistrent une contraction de 22% et il est évident que le retour des Ide ne se fera pas de sitôt compte tenu du climat considéré toujours instable par les investisseurs étrangers. Les demandes de création d’entreprises sur janvier et février se sont rétractées de presque 9% par rapport à la même période de l’année dernière.
Le chômage quant à lui n’a pas cessé d’augmenter pour atteindre 600.000 demandeurs d’emplois aggravé par les fermetures d’entreprises, le retour de Libye et la baisse des activités parallèles avec ce pays.
Ces quelques faits tangibles doivent sonner les sirènes d’alarme et nous inciter à nous mettre au travail, à ouvrir les horizons et à faire du redressement de notre économie un des objectifs majeurs au même plan que celui de bâtir notre future démocratie, nos futures institutions et notre future république.
Serge July écrivait dans un de ses éditoriaux: «Dans les révolutions, plus qu’à d’autres moments, le temps perdu non seulement ne se rattrape jamais mais devient un facteur violemment hostile», le temps nous est donc compté et appelle à une réaction immédiate pour se prévenir de ce type de risques.

Mettre fin aux revendications individualistes
La première réaction serait de stopper toutes ces revendications individualistes, corporatistes et régionalistes et ces grèves sans fin qui empêchent nos usines de tourner, nos administrations de fonctionner et nos services publics de rendre ce que l’on attend d’eux. Même si ces revendications traduisent l’océan d’injustices dans lequel nous avons baigné pendant des décennies, tout demander, tout de suite et d’un coup, n’est pas réaliste car à l’impossible, personne n’est tenu.
Il va de la survie de notre révolution de savoir être patient, de gérer les priorités et de ne se concentrer, en ces temps difficiles, que sur les cas les plus injustes et les plus urgents de nos compatriotes. Mirabeau ne disait-il pas que «le meilleur moyen de faire avorter la révolution, c’est de trop demander.»
La seconde serait d’appuyer le programme de relance à court terme que le gouvernement provisoire a concocté pour relancer l’économie. Ce plan qui comprend 17 mesures dont les plus importantes sont la création de 60.000 emplois, le soutien à 200.000 personnes, le soutien aux entreprises en difficulté, la mise en place de plans de financement régionaux ainsi que l’encouragement des microcrédits pour les particuliers et pour les Pme.

Sept propositions d’actions
Ce plan est ambitieux et traduit la limite à court terme des moyens disponibles dans le cadre de l’exercice budgétaire actuel. Cependant, je me suis permis ci-après de lister sept autres propositions d’actions que les secteurs public et privé tunisiens peuvent lancer conjointement pour le renforcer d’avantage et augmenter ainsi son impact:
1- libérer des fonds publics par l’introduction partielle en bourse de 30 à 40% du capital de certaines entreprises étatiques à caractères non stratégiques, en particulier les sociétés hôtelières, immobilières et industrielles.
Cette proposition présentera également l’avantage de doper la place boursière de Tunis et dynamiser le flux des échanges et la création d’emploi pour les diplômés de la finance.
Cette privatisation partielle doit être réservée à l’actionnariat populaire tunisien avec un plafonnement du niveau de prise de participation individuelle et obligatoirement placée sur un compte d’épargne en actions auprès d’une banque tunisienne.
Une telle opération permettra, en plus, de développer une culture économique auprès de nos concitoyens, culture et pratique longtemps confisquées par une minorité de personnes pas toujours honnêtes de surcroît.
Le revenu de cette privatisation partielle ainsi libéré servira à créer un fond  souverain tunisien réservé au développement de projets créateurs d’emplois dans les zones défavorisées de la Tunisie.
2- Lancement  d’un emprunt national ouvert à tous les Tunisiens de l’intérieur et de l’extérieur qui servirait à financer les projets d’infrastructure en Tunisie. La participation à cet emprunt sera soumise à un strict contrôle pour ne pas permettre à l’argent sale d’être blanchi par ce biais. Les souscripteurs à cet emprunt ne peuvent être que des personnes physiques déclarées, ayant une intégrité prouvée.
3- L’incitation par des avantages fiscaux à la création de Business Angels pour développer, en relation avec l’enseignement supérieur, des start-up dans les domaines scientifiques, biotechnologiques et les nouvelles technologies.
4- La valorisation des biens immobiliers du Rcd pour, soit les transformer en pépinières abritants les jeunes start-up pour alléger ainsi leurs charges d’exploitation, soit pour les vendre et apporter les revenus ainsi générés au financement de projets créateurs d’emplois.
5- L’encouragement, par des avantages fiscaux, à la transformation d’une partie de l’épargne disponible des Tunisiens pour l’orienter vers le financement des projets à caractères écologiques créateurs d’emploi (énergies renouvelables, cultures biologiques, transformation des déchets, recyclage…)
6- La réorientation des lignes de crédit aujourd’hui disponibles dans le cadre du plan de mise à niveau en fonction des critères et des orientations formulés dans mon précédent article à l’adresse suivante: ''La Presse''.
7 - Instaurer une taxe de 1 à 2% sur les plus-values financières, sur les ventes de tabac et d’alcool ainsi que sur les revenues de l’industrie et la distribution  pharmaceutique pour financer les projets de construction et d’équipement des hôpitaux dans les régions défavorisées.
Ces propositions sont facilement chiffrables et réalisables, elles impliquent à la fois l’Etat et les Tunisiens et ne font appel ni aux aides ni aux investisseurs étrangers en cette période où ces derniers se font rares.
Pour finir, je souhaite terminer par deux citations que je trouve parfaitement de circonstance, celle d’Alice Parizeau dans son livre ‘‘Rue Sherbrooke Ouest’’: «On fait des révolutions quand le peuple n’a rien à perdre et tout à gagner», et celle de Victor Hugo dans ‘‘Les Misérables’’: «Les révolutions sortent, non d’un accident, mais de la nécessité». Maintenant que nous y sommes, faisons le maximum pour réussir notre révolution.
*Ingénieur de l’Ecole nationale des ponts&chaussées ’87, titulaire d’un Dea d’intelligence artificielle de l’Université Paris VI ’87 et d’une maîtrise de mécaniques appliquées de l’Université de Tunis ’83. Actuellement directeur des systèmes de production et de la supply chain du groupe Valeo et précédemment vice-président de Gemini Consulting au sein de la practice Stratégie&Organisation Industrielle.