Ridha Guellouz écrit – Il faut consolider l’esprit citoyen pour préserver l’avenir de la Tunisie et de son peuple.


A la lecture et relecture de l’article du Dr Lilia Bouguira ‘‘Ceux que Zaba continue d’opprimer avec notre complicité’’, j’ai ressenti une très forte émotion me gagner. Qui? Qui? Qui?

L’ancestralité du combat continu des Tunisiens
J’ai ressenti remonter en moi toute l’amertume d’un homme de soixante ans, citoyen d’un pays dont le peuple a, tour à tour, subi le colonialisme avec ses brimades et injustices sous un régime monarchique moribond, puis le joug d’un Bourguiba, dictateur éclairé qui, au nom de la création de l’Etat moderne, a fini par codifier l’exercice du pouvoir autocratique en Tunisie, castrant au passage tout un peuple pour des décennies, pour en arriver enfin au déchainement des forces du mal orchestré par les Ben Ali/Trabelsi, famille devenue quasi-maîtresse absolue de notre pays, avec la complicité, passive pour certains, et fortement active pour d’autres, de certains d’entre nous, sinon de nous tous.
J’ai ressenti simultanément et d’un seul coup, même si en soixante ans de vie, j’y étais quelque peu préparé, l’ancestralité du combat continu de la Tunisie et de son peuple, jeunes et vieux, paysans et travailleurs, riches et pauvres, intellectuels et analphabètes.
Peut-être certains, dont je pense faire partie, mesurent-ils l’importance du moment présent, parce qu’ils ont bénéficié de l’avantage d’être suffisamment bien entourés par leurs ainés qui leur ont transmis cette volonté sans cesse renouvelée de reconstruire, sur les cendres du passé, une citoyenneté tunisienne encore plus solide.
Ceux-là, dont certains seront jetés en pâture dans l’arène de l’Histoire, savent bien que l’euphorie du moment présent, même si elle corrige les terribles injustices du passé, n’empêchera pas les excès et les erreurs du futur, parce que l’Histoire est un éternel recommencement.
Ceux-là observent certainement avec espoir, mais aussi avec des craintes justifiées, la gesticulation des partis politiques enfin reconnus et les absurdités commises dans ce long cheminement que va être la construction d’une nouvelle république tant attendue
Nous tous… en bien et en mal
A ceux-là, qui sont perplexes et attentifs devant la terrible question de «Qui? Qui?  Qui?», je souhaite apporter une modeste contribution à la réponse: «Nous, nous, nous… en bien et en mal».
A ceux dont cette volonté risque de s’émousser, à ceux, plus jeunes, qui devront préserver l’avenir de notre pays et de son peuple par la consolidation de l’esprit citoyen, et… au Dr Bouguira, je propose la lecture de ce merveilleux poème de Rudyard Kipling (1910), dans une traduction d’André Maurois (1918).

Si…, tu seras un homme, mon fils
Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;
* * *
Si tu peux être amant sans être fou d’amour,
Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre,
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;
* * *
Si tu peux supporter d'entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d’un seul mot ;
* * *
Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère,
Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi ;
* * *
Si tu sais méditer, observer et connaître,
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n'être jamais qu'un penseur ;
* * *
Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans être moral ni pédant ;
* * *
Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront ;
* * *
Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tous jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire
Tu seras un homme… mon fils.

* 58 ans, ingénieur et fonctionnaire public.