Sa mère était fan de Johnny Halliday et, lorsqu’il est né, c’est le plus logiquement du monde qu’elle l’a appelé Johnny. Quelle légèreté, quelle inconscience! Il est des prénoms plus durs à porter que d’autre et celui-ci en fait partie. Résultat, l’homme, une fois adulte, s’est tourné vers la justice française pour en changer. «C’est un prénom ridicule», a expliqué cet habitant de Pau. Et de raconter son calvaire: «J’en ai marre des moqueries, des ‘Ah que coucou !' quand j’arrive quelque part. J’en ai assez des sourires en coin au guichet d’une banque. J’en peux plus». Comment ne pas comprendre une telle exaspération. Toutes proportions gardées, imaginez aujourd’hui le calvaire d’un Zine El-Abidine ou d’un Saddam... Ah que oui, c’est très dur mon ppd !
L’image du chanteur niaiseux au cerveau déglingué
Signalons au passage que cette image du chanteur niaiseux au cerveau quelque peu déglingué relève en grande partie de la responsabilité des marionnettes des Guignols de l’info. La méchanceté de leurs scénaristes – trop souvent gratuite – a été telle que le chanteur a fini par s’en émouvoir et par demander grâce au nom de sa famille, notamment ses enfants qui n’en pouvaient plus d’être la cible des quolibets et des vexations dans la cour de récréation. On peut en sourire, mais il me semble que la limite entre la bonne plaisanterie et l’acharnement a été franchie depuis longtemps concernant celui que l’on appelait l’idole des jeunes.
Ajoutons par ailleurs que le culte entretenu autour d’Halliday a quelque chose d’un peu désuet, comme s’il s’agissait de continuer à faire vivre un mythe des années 1970, cette période que nombre d’hommes politiques et de chroniqueurs français semblent tant regretter. La vérité, c’est que Johnny ne vend plus autant de disques qu’avant, qu’il a du mal à remplir les stades et que ses ennuis de santé entretiennent le doute sur sa capacité à remonter un jour sur scène. Il n’empêche. Johnny reste Johnny et quand circule la rumeur de sa mort, c’est tout un pays qui oublie ses sarcasmes et se prépare à prendre le deuil.
Mais revenons à l’autre Johnny. Après avoir été débouté une première fois, ce dernier vient donc d’obtenir en appel de se faire appeler Karim, un prénom qu’il tient de son père. Karim au lieu de Johnny… Voilà qui va rendre fou de rage Jean-François Copé et tous ceux qui reprochent aux Français d’origine maghrébine de continuer à donner des prénoms arabes à leurs enfants. C’est un sujet que j’ai déjà traité il y a quelques années (*). Sans vous servir un plat réchauffé, il n’est pas inutile de revenir là-dessus car je suis persuadé que ce thème va, tôt ou tard, provoquer l’une de ces polémiques dilatoires dont la droite de moins en moins républicaine a désormais le secret.
«Un prénom, ça ne change pas le faciès».
Il y a quelques temps, des voix se sont fait entendre à droite pour reprocher à Rachida Dati d’avoir donné un prénom arabe à sa fille. De même, plusieurs élus ne cessent de clamer qu’un Français d’origine maghrébine qui choisit un prénom arabe à son nouveau-né affirme par-là son refus de s’intégrer. Des incidents ayant eu lieu dans des mairies sont régulièrement rapportés, des fonctionnaires de l’état-civil quelque peu zélés s’étant mis en tête de convaincre le père de franciser le prénom de son nouvel enfant. «Dis donc vous, venez voir par ici! Vous voulez appeler votre fille Malika? Et pourquoi? Vous ne préférez pas Marine? C’est mieux pour elle, vous savez ! Réfléchissez bien…»
A ce propos, il est de coutume d’opposer le comportement des Asiatiques à celui des Maghrébins. En règle générale, les premiers n’ont aucune hésitation à donner un prénom français à leurs enfants. A l’inverse, les seconds sont bien plus réticents. Peur du qu’en dira-t-on, des plaisanteries et commérages implacables de la famille et du voisinage, sentiment de trahir ses origines, vieux réflexe anticolonial enfoui dans la mémoire collective qui pousse à rejeter toute tentative, réelle ou supposée, d’assimilation: les explications cohérentes ne manquent pas. A cela s’ajoute le fait que personne n’est dupe. Donner un prénom français peut aider, en théorie, à s’intégrer, mais cela n’empêchera en rien les discriminations futures. Comme me l’a dit un jour un jeune franco-marocain de Gennevilliers: «un prénom, ça ne change pas le faciès».
Autre témoignage d’un fidèle lecteur de cette chronique: «Quand j’ai appelé ma fille Salima (2), l’employée de mairie m’a inventé une loi selon laquelle un prénom étranger était autorisé aux Français seulement s’il correspondait à l’un des prénoms des grands-parents! Tout ça en me tendant une liste de prénoms français. Ça a failli mal se terminer car j’ai refusé de quitter les lieux avant d’obtenir gain de cause. Pour reculer, tout en sauvant la face, l’employée a fait semblant d’appeler le Parquet pour savoir si Salima était un prénom ‘‘valable’’. Pourquoi le Parquet? Je n’en sais rien du tout, ce que je sais c’est que je lui ai répondu sans honte par une blague de bas étage qu’elle pouvait appeler la moquette si elle voulait et que je ne bougerai pas de son bureau.»
C'est une évidence: entre Akram Belkaïd et Mathieu Belkaïd, c’est le nom Belkaïd que le recruteur, le policier ou tout autre fonctionnaire retiendra d’abord. Les Maghrébins, eux, seront intrigués par le prénom Mathieu et chercheront à comprendre ce qu’il trahit comme histoire personnelle. Fils de harki? Candidat zélé à la naturalisation? Mariage mixte où la «partie» française a pris le dessus sur l’autre…? Le pauvre Mathieu devra s’expliquer toute sa vie ce qui l’incitera, peut-être, à changer de nom (en le francisant) ou de prénom (en l’arabo-berbérisant).
La deuxième option est de plus en plus fréquente et ce phénomène est régulièrement évoqué par la presse. En effet, nombreux sont les personnes d’origine maghrébine qui demandent aujourd’hui à changer leur prénom français pour un prénom arabe (3). Comme Johnny devenu Karim, ils font, pour des raisons souvent liées au regard et au jugement d’autrui, le chemin inverse de ce que l’on pouvait attendre d’eux. Et ils démontrent ainsi, par leur cas personnel, que l’intégration est tout sauf un chemin tranquille.
Note:
(1) Une histoire de prénoms, ‘‘Le Quotidien d'Oran’’, jeudi 29 janvier 2009.
(2) Le prénom a été changé.
(3) «Quand Olivier préfère s’appeler Saïd», ‘‘Le Parisien’’, 4 novembre 2008.
Source : ‘‘Le Quotidien d’Oran’’.