Je ne sais si on fera écho à mon cri mais combien j’aimerai hurler : «Stooooooooooooooooooooooop» pour tout arrêter, devenir sourde et ne plus écouter, cyclope et ne plus regarder mon peuple se déchirer.
Au début, c’est-à-dire depuis trois mois, je me tenais comme à mon habitude craintive loin de la cour de ceux que je prenais pour des grands politiciens avertis et je tendais l’oreille pour intercepter leurs discours, affirmer mon rêve de liberté et de levée du cauchemar.
Au début, ils rivalisaient avec les ténors, concoctaient solidarité, justice et chants de révolution, puis les passes furent plus hardies, plus violentes voire on ne peut plus méchantes et cruelles.
Les masques tombent petit-à-petit et chacun tire vers lui un pan de ma Tunisie. Je prends peur, je recule, ferme les yeux et m’enfonce dans mes angoisses: tics ou tocs, je ne sais plus mais ce dont je suis sûre c’est de cette odeur de roussi, d’aigre, d’acide dont on voudrait vitrioler nos acquis.
Je m’approche craintivement et soulève le rideau.
Je découvre une vierge dépecée.
Certains s’arrachent le haut, d’autres le bas, les à côtés, les plis, les replis, les antres jusqu’au moindre recoin dans une tournante sans fin. Chacun se sert sans vergogne, à sa manière comme de vulgaires parvenus.
Nulle considération pour les suites hémorragiques de la révolution ni pour les morts tombés en cours de route ni pour les sanglots déchirés de leurs mères endeuillées ni pour les injustices séquentielles à réparer.
Chacun veut toucher, tripoter et se servir généreusement.
Chaque groupe se blanchit sur le dos de l’autre, chacun s’invente une virginité.
Tous revendiquent un droit d’auteur, d’admin et de détenteur de vérité.
Certains clament la religiosité, s’en vantent et saupoudrent les clichés.
D’autres s’enrobent de laïcité, gonflent le courant et tombent dans la paranoïa.
Des uns plaident pour une absurde parité, d’autres s’octroient une légitimité.
Un va-et-vient incessant, une flambée des animosités sur un douloureux à qui dit mieux.
Je vois même les rumeurs à deux sous courir plus vite que le vent de la bouche des bonnes ménagères mais à ce qu’elles deviennent le sermon quotidien des universitaires, des médecins, des juristes, des ingénieurs et je ne sais, cela je ne puis le tolérer!
Une poudrière mon pays alors qu’il est plus simple de se rassembler autour d’une table et de parler.
Un terrain miné ma post révolution alors qu’il est plus tendre de ne pas se déchiqueter, s’unir et s’allier.
Pourquoi faire écho à nos divergences?
Pourquoi rester là à s’invectiver, inventorier nos erreurs passées sans penser à avancer?
Pourquoi pourrir dans le négatif, stériliser nos ressources et infantiliser nos compétences?
Pourquoi ne pas se donner le temps de l’écoute, la nouvelle chance et un nouveau départ rasséréné?
Juste pour ne pas faire de ces paroles un dogme ou une tradition:
«Il est arrivé qu’une révolution, faite par des millions de pauvres gens dans un esprit égalitaire, avec une idéologie socialiste, ayant remporté une victoire complète, s’est trouvée confisquée par les parvenus qu’elle avait installés dans tous les rouages de l’État, et d’abord dans ceux du parti révolutionnaire.» (Victor Serge, ‘‘Portrait de Staline’’, 1940).