Lotfi M’Raihi* écrit – Le décret de loi électorale en instance d’approbation, s’il est adopté, affaiblira le camp démocrate et réduira au silence les petits partis.


L’échéance du 24 juillet que se sont imposés les Tunisiens au lendemain du 14-Janvier se révèle être une décision empreinte d’une certaine légèreté et aux conséquences insuffisamment méditées.
Le choix d’aller de prime abord vers une révision de la constitution par le truchement d’une assemblée constituante dans un pays qui a été depuis toujours sevré de débat public et notamment à propos de son identité est une gageure qui prélude de tous les dangers.

La division du camp démocrate
Je pense qu’il est du devoir de tout homme impliqué dans l’action politique d’alerter aujourd’hui l’opinion publique sur les risques qui nous guettent et de proposer des issues de sortie pratiques qui tiennent compte de l’état des lieux.
Le devoir m’amène aujourd’hui à m’adresser à tous les démocrates que compte ce pays qui est le mien. Je me sens d’autant plus dans cette obligation que je mesure les angoisses qui les taraudent et les peurs qu’ils appréhendent.
Les Tunisiens mesurent jour après jour que la nouvelle constitution qui sera élaborée risque de remettre en cause les orientations de société sous lesquelles ils avaient vécu et qu’ils craignent de voir abrogées. Une question les hante: la Tunisie glisserait-elle vers un modèle honni, celui de ceux qui avancent en regardant leur direction dans un rétroviseur?
Cette inquiétude est d’autant plus exacerbée que le camp démocrate apparaît divisé, chacun défendant une chapelle et dont certaines sont de simples coquilles vides.
Les nouvelles formations n’ont pas encore eu le temps matériel de monter leurs structures, étendre leur maillages et les anciens partis ne semblent pas être en bien meilleur état. Les appels aux coalisions et aux fusions restent lettres mortes face aux égos des uns et à l’inconscience des autres. L’heure est grave. La tension est vive et n’est pas prête de s’apaiser. Certains propos lancés ici et là dépassent le lexique tolérable dans un débat politique ou d’idées. La nervosité et la frilosité sont toutefois justifiables en raison de cette angoissante perspective.
Le décret de loi électorale en instance d’approbation ne fait qu’exacerber les appréhensions. S’il est adopté, il affaiblira encore le camp démocrate, l’engagera dans une guerre intestine sans merci et réduira au silence les petits partis. Or, au départ, il s’agissait d’adopter un mode de scrutin qui donnera à l’assemblée constituante la plus large représentativité possible car il s’agit bien d’une chambre d’où doit émaner un consensus général.

Donner leur chance aux petites formations
Nous en sommes bien loin aujourd’hui avec ce projet de loi. La proportionnelle sur liste, par circonscriptions et avec le plus fort reste ne tiendra compte que des voix «utiles», celles qui se seraient exprimées en nombre suffisant pour élire un candidat mais jettera aux poubelles les voix qui se seraient exprimées sur des listes malheureuses.
Ce défaut de comptabilisation de toutes les voix exprimées est contraire à l’esprit même de cette élection qui se veut consensuelle et représentative. Ce mode de scrutin ouvre la voie royale aux formations structurées ou à l’ascendant électoral affirmé mais ne laisse aucune place aux alternatives. Même les partis dits anciens risquent bel et bien d’en pâtir et je crains que les lendemains du 24 juillet seraient aussi tendus que leur prélude.
J’en appelle ici à tous les Tunisiens, aux démocrates en particulier, à toutes les associations et les âmes vives du pays à réclamer, avec une détermination sans faille, la révision de ce projet de loi. Je propose et vous y conviendrez, j’en suis sûr, que le mode de scrutin national sur listes et à la proportionnelle est notre voie de salut.
Ceci voudra dire que chaque partie présentera des listes là où il le souhaite et qu’à la fin la somme des voix obtenues à l’échelle nationale par chaque parti sera rapportée aux nombres d’électeurs tunisiens exprimés, le quotient obtenu déterminera le nombre de sièges qui lui seront alloués à l’assemblée.
Cette approche aura le mérite de libérer les Tunisiens démocrates de l’angoisse d’avoir à «voter utile» pour des formations dont ils ne sont pas entièrement convaincus et permettra à certains jeunes partis d’accéder à cette assemblée. Cette instance pourra exprimer réellement une large représentativité puisqu’elle abritera des sensibilités différentes tout en offrant au camp démocrate la possibilité de se regrouper quand il s’agira de défendre les valeurs et les orientations fédératrices et essentielles. Le processus est encore réversible pour redresser ce virage périlleux.

* Secrétaire général de l’Union populaire républicaine (Upr).