Jamel Dridi* écrit - Pour assurer sa stabilité politique, sociale et son développement économique à long terme, la Tunisie doit trouver des solutions face au chômage. Quelques unes sont proposées ici.


1) Un service public de l’emploi digne de ce nom

Pourquoi des pays riches, à l’économie florissante et le chômage bas, possèdent-ils pourtant un service de l’emploi riche en personnel, moyens et offre de services aux entreprises et aux demandeurs d’emploi? Ne pourraient-ils pas s’en passer? Non, car si on peut admettre que, dans beaucoup de domaines, un marché peut se réguler seul, dans celui de l’emploi, il faut que l’Etat intervienne pour faciliter l’intermédiation entre l’entreprise et la personne qui recherche un emploi.
Tout cela a-t-il un coût? Oui, bien sûr, mais le chômage, et surtout celui des jeunes, a un coût pour la société. Un coût politique, un coût économique et surtout social. Et tout le monde sait dorénavant que la stabilité sociale n’a pas de prix!

2) Des outils puissants pour faciliter la rencontre de l’entreprise et du futur salarié

- Ajuster la formation et l’orientation professionnelle à la demande de l’entreprise
L’inadéquation entre les nouveaux arrivants sur le marché de l’emploi et les postes proposés relèvent très souvent d’un système de formation et d’orientation inadapté. Agir de manière préventive pour corriger ce problème permettra de diminuer considérablement le chômage en aval. Pour ajuster la formation à la demande de l’entreprise, il faut davantage proposer des contrats en apprentissage.
Par ailleurs, il faut promouvoir des formations qui répondent aux débouchés qui seront proposés à n+3 ou 4 années. Laisser des jeunes suivre des formations généralistes alors qu’on sait dès le départ qu’il n’y a aucun débouché sur le marché de l’emploi, c’est construire soi-même sa propre bombe à retardement sociale.
Pour ce faire, il faut se doter de cellules de veilles prospectives quant aux débouchés avenir.  Par ailleurs, très tôt il faut orienter les jeunes vers des métiers porteurs en les sensibilisant à la réalité des débouchés.

- Mettre en place un média puissant de rencontre de l’offre et de la demande
De manière simple, il s’agit de la mise en place d’un site Internet national de référence permettant aux employeurs de déposer gratuitement de manière simple leur offres d’emploi en ligne et aux demandeurs d’emploi de pouvoir consulter ces offres. Sur ce site, les demandeurs pourraient aussi laisser leur cv dans le cadre d’une cv-thèque organisée par métier et consultable par les employeurs.

- Segmenter les entreprises
Le service de l’emploi tunisien doit se doter d’une cartographie précise et fiable des entreprises présentes sur sont territoire ou souhaitant s’implanter en Tunisie. Dans cette base de données, les entreprises seront segmentées en fonction de leur potentiel en offre d’emploi. Ainsi, des plans d’actions seraient mis en place autour de ces entreprises. Tant au niveau de leur prospection, que pour faciliter leur recueil d’offre que pour mettre en place des formations courtes d’adaptation destinées aux chômeurs par rapport aux postes proposés par ces entreprises.

3) Innover, se vendre, se diversifier

- Innover

Comment? Par la mise en place de davantage de pôle de compétitivité en réunissant, sur un territoire donné, des entreprises, des centres de recherche et des organismes de formation visant une stratégie commune de développement autour de projets innovants en direction d’un ou plusieurs marchés. Le pôle de compétitivité créé et labellisé permet la mutualisation des moyens. Des avantages fiscaux peuvent êtres attribués en contrepartie d’objectifs chiffrés de création d’emploi. Les pôles de compétitivité, en plus de créer des synergies puissantes (l’union fait  la force), donne une visibilité forte à l’échelle régionale et internationale.

- Se vendre

Il faut créer des task-force à l’échelle internationale. Bien sûr, il y a les chambres de commerce conjointes entre deux pays qui permettent de voir les opportunités en termes de business à faire, mais ce n’est pas suffisant.
Qui sait qu’actuellement, des dizaines de sociétés informatiques françaises et européennes sont en manque de personnels et n’arrivent pas à faire face à la demande.
Beaucoup de ces Pme ont à leur tête un dirigeant qui s’occupe à la fois du commercial, des ressources humaines, de l’opérationnel…, et qu’il n’a donc  pas le temps d’aller voir quel sous-traitant pourrait le soulager. Des commerciaux chargés de proposer les compétences tunisiennes à ces entreprises permettraient de générer du travail et de l’emploi en Tunisie. Il faut donc approcher ses entreprises de manière dynamique et commerciale et non simplement lors de rencontres à l’occasion de foires ou salons.
(En ces temps, où il faut aider la Tunisie, plusieurs Franco-tunisiens sont prêts à jouer ce rôle bénévolement – et gratuitement! – et mettre en relation des entreprises européennes et tunisiennes ¬–  au ministère du Commerce: organisons-nous pour cela! –)

Se diversifier

La Tunisie a tous ses œufs dans le même panier alors qu’elle des atouts extraordinaires pour se diversifier.

En matière touristique: les clients demandent actuellement une offre de tourisme de niche. Dans le tourisme golfique, le Maroc a construit pas moins de 10 golfs en 10 ans. Il y a aussi le tourisme «bio/chambres d’hôtes», le tourisme culturel (et la Tunisie plusieurs fois millénaire a beaucoup d’atouts dans ce domaines). Ces offres touristiques de niche sont généralement plus rémunératrices que le simple tourisme balnéaire, qui non seulement cantonne les tourismes dans les zones côtières (personne ne dépense son argent à l’intérieur), mais empêche d’exploiter le potentiel tunisien.

En matière de débouchés géographiques: la Tunisie doit s’imprégner de l’exemple des Chinois. Pour ces derniers, il n’y a pas de petits débouchés, à tel point qu’ils envahissent commercialement même le plus pauvre des pays d’Afrique pour lui vendre leurs produits.
La Tunisie doit se tourner davantage vers des horizons qu’elle a négligés jusqu’alors. Elle peut proposer son savoir faire technologique, en matière de Btp, ses produits à l’Afrique et à l’Asie et ne plus dépendre que d’un seul pays ou continent. Elle y gagnerait commercialement et politiquement!

En matière de secteurs à développer : La hausse des matières premières et notamment alimentaires n’a échappé à personne. L’agriculture risque de devenir une source de richesse (multiplié par 3) dans les 50 prochaines années. La Tunisie doit davantage se tourner vers cette voie pour satisfaire sa demande intérieure mais aussi se positionner davantage sur ce marché très porteur. Sa géographie le permet et la quantité et qualité de ses terres aussi.

Nul doute que la Tunisie, ce petit pays par sa géographie mais grand par son histoire et sa qualité humaine, traversera cette période trouble. Mais la Tunisie doit aussi se doter de moyens techniques pour booster son marché du travail.  Par ailleurs, le Tunisien doit prendre confiance en ses capacités et se positionner non plus en sous traitant mais en créateur d’opportunités et de produits, ainsi le chômage diminuera.
Je pense d’ailleurs que les mentalités commencent à changer dans ce sens. Un ministre tunisien ne vient-il pas de déclarer en direction de l’Europe que la Tunisie veut être traitée désormais en partenaire.

* Franco/Tunisien, consultant sur les questions d’emploi.