Ghazi Meziou écrit - La loi électorale sur l’Assemblée constituante doit lister les pouvoirs de cette assemblée (aussi large soient ils) et fixer la durée maximale de son mandat.


La Commission Ben Achour nous a sorti un projet de Décret Loi. Tout le monde, ou presque, s'extasie – à raison – devant la parité (même si la route est longue avant l’égalité dans le représentation), certains débattent du mode de scrutin et d’autres (dont moi) s’interrogent sur l’exclusion des ex-Rcd.
Et pendant ce temps là, tout le monde semble trouver naturel – les spécialistes de droit constitutionnel compris – qu'aucun texte ne réglemente les pouvoirs de l’Assemblée constituante ni la durée de son mandat.

Une «monarchie» constituante?
Tout se passe comme s’il allait de soi qu’une Assemblée constituante cumule tous les pouvoirs et achève son mandat quand bon lui semble. Une sorte de pouvoir absolu, illimité dans le temps. Une «monarchie» constituante.
L’explication qu’on semble nous donner est que l’Assemblée constituante, tirant sa légitimité d’un vote populaire, sera une émanation démocratique du peuple et qu’à ce titre, elle cumulera – naturellement – tous les pouvoirs.
C’est une aimable plaisanterie. Dans une démocratie, les parlements sont tous des émanations démocratiques du peuple et ont tous des pouvoirs limités et des mandats à durée déterminée.
Un autre argument est avancé: dans la mesure où l’Assemblée constituante sera bien plus légitime que la Commission Ben Achour et qu’elle sera le seul organe démocratiquement élu, elle sera en mesure de changer toute les règles que cherchera à lui imposer la Commission.
C’est également une aimable plaisanterie. Il est indéniable que l’Assemblée constituante aura plus de légitimité que la Commission Ben Achour, mais il est également indéniable que si le vote populaire est exprimé dans le cadre d’un mandat électoral listant des pouvoirs précis et une limite de temps précise, alors la légitimité de l’Assemblée Constituante sera encadrée par ce mandat: elle aura les pouvoirs prévus par son mandat électoral durant la durée du mandat, rien de plus et rien de moins. Ces limites s’appliqueront, non en raison du vote des membres de la Commission Ben Achour, mais en raison du vote des citoyens tunisiens, source et limite de tout pouvoir dans une démocratie.

Combien de temps prendra l'élaboration de la constitution?
Le fait que telle ou telle assemblée constituante – souvent autoproclamée et non élue – dans  tel ou tel pays, avait des pouvoirs illimités ne change rien à l’aberration de la chose.Dans l’état actuel de la loi électorale, l’Assemblée constituante pourrait légitimement prendre une dizaine d’années (ou plus) pour rédiger une constitution – dans l’intervalle, elle pourra faire et défaire les gouvernements, changer toutes les lois qu’elle souhaitera sans être limitée par aucune constitution, déclarer une ou plusieurs guerres, étendre la peine de mort à toute infraction au code de la route et dépénaliser le viol. Après tout pourquoi pas? Si elle à tout les pouvoirs!?
Vous me direz que c’est improbable. Sans doute, mais c’est possible et c’est justement pour nous protéger de cette possibilité que tous les mandats électoraux sont limités dans le temps, donnent des prérogatives précises et limitées et que tous les pouvoirs (ou presque) sont soumis à une constitution qui affirme les valeurs et libertés que le pouvoir ne pourra pas dépasser.
C’est pourquoi je pense qu’il est crucial que la loi électorale sur l’Assemblée constituante liste les pouvoirs de cette assemblée (aussi large soient ils), fixe la durée maximale de son mandat, et soumette toutes les décisions de l’Assemblée constituante, par exemple, à la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen ou à un équivalent sur lequel s’entendrait la Commission Ben Achour.
Et si l’Assemblée ne réussit pas à adopter une constitution avant la fin de son mandat, c’est qu’elle n’aura pas su surmonter les différences entre ses membres et constituer une majorité sur un texte constitutionnel. Il sera alors grand temps d’en élire une autre.

* Cabinet Meziou Knani & associés.