Tarak Arfaoui écrit - La Tunisie postrévolutionnaire est en état de rejet chronique. Le greffon de la liberté et de la démocratie ne prend malheureusement pas. Après la révolution, c’est vraiment la révulsion.


Après le rejet – légitime – de Zaba et de son système, l’épidémie de la «révulsionnite» a envahi le pays, est devenu une mode, un moyen d’expression et de revendication, si bien qu’il ne se passe pas un jour sans que l’on assiste à des rejets sociaux de toutes sortes engendrant désordre, gabegie et déliquescence progressive de tous nos acquis.
Quelques politicards opportunistes rejettent encore le troisième gouvernement provisoire pour des futilités ou par petit calcul politique. Dans certaines régions, les citoyens rejettent le énième gouverneur nouvellement désigné. Les fonctionnaires rejettent toujours le nouveau Pdg nommé après un prédécesseur rejeté. Les ouvriers rejettent leur patron qui est propriétaire des lieux et qui leur assure leur subsistance. Les lycéens rejettent leurs enseignants aux cris de «Dégage!» pour peu que leurs propos ou que leurs notes leur déplaisent. Les avocats rejettent les magistrats pour des futilités de procédure,  qui rejettent à leur tour les avocats pour des futilités qualifiées de déontologiques, alors que les huissiers rejettent les avocats pour des considérations plus franchement matérielles. Les footballeurs rejettent leurs présidents qui tardent à les payer. Les arbitres rejettent la Fédération qui n’assure pas leur sécurité et le public rejette de toutes les manières la victoire de l’équipe visiteuse.
A force de tout rejeter certains Tunisiens réussissent le tour de force de rejeter leur pays en se jetant à la mer pour essayer de regagner l’Europe. Plus grave encore: des Tunisiens rejettent même leur liberté et leur modernité en se drapant d’accoutrements ridicules venant de je ne sais où sous couvert de la religion. Il arrive même que des Tunisiens parviennent à rejeter leur Tunisianité faite  de modération, de raison et de juste milieu, en militant pour le trotskisme, le baasisme ou le salafisme
En fin de compte, quand il n’y aurait plus rien à rejeter en Tunisie, on pourrait peut être dire que la révolution est terminée. On pourrait alors commencer à penser aux moyens de faire aboutir la transition démocratique qu’elle a rendue possible et que, par nos comportements, nous menaçons de faire échouer…