On sent de plus en plus le goût amer du désordre au sommet de l’Etat qui a suivi la chute du régime de Ben Ali. Ce désordre et cet affaiblissement de l’Etat se traduisent d’abord par la dégradation de l’ordre public et le sentiment d’insécurité qui en découle.
Une rupture retardée
La seconde conséquence, non moins importante, est le ralentissement des activités économiques et l’absence de visibilité pour l’engagement de nouveaux grands projets et le drainage d’investissements nationaux et étrangers. Le blocage de l’économie se répercute évidemment directement sur l’emploi et renvoie au chômage de nouveaux groupes de jeunes tunisiens.
En troisième lieu, on note une lenteur dans la rupture avec le régime déchu. La justice tarde à être rendue alors que les crimes et autres délits de différentes natures commis par le clan et ses associés sont visibles à l’œil nu. Certains courants contre-révolutionnaires traversent encore la haute administration et les entreprises publiques. Certaines organisations satellitaires qui se cachaient derrière un voile humanitaire et qui faisaient la propagande du pouvoir de Ben Ali n’ont subi aucun questionnement alors qu’elles exerçaient un pouvoir égal ou supérieur à celui des ministères...
Last but not least, la reconstruction politique cherche difficilement son chemin.
En effet, les Tunisiens se sont révoltés contre un régime despotique qui a confisqué la liberté et les biens du peuple.
D’un despotisme éclairé à un despotisme inculte
Après Bourguiba qui a régné en despote éclairé et intègre, la Tunisie a basculé sous la coupe d’un despote inculte et corrompu qui a bénéficié du soutien de l’Occident, sous prétexte de lutte contre le terrorisme islamiste et l’immigration illégale. Le despotisme de Bourguiba était justifié par la précarité de la nation héritée du joug colonial et le besoin d’unité nationale pour construire un Etat moderne. Sous les deux régimes qu’a connus la Tunisie depuis son indépendance, l’exercice de la démocratie était défaillant et la vie politique se résumait, à part quelques périodes d’éclaircie, à la propagande d’un parti unique et au culte du chef de ce parti. Toutefois, le régime de Bourguiba s’accommodait d’une certaine liberté de penser, en raison de la personnalité même de Bourguiba, pétrie d’histoire et de culture, et fortement influencée par les démocraties occidentales.
Le régime de Ben Ali, quant à lui, exerça un anéantissement de la pensée et de la culture entraînant un laminage de la classe politique. En procédant à la massification au niveau de l’enseignement supérieur accessible automatiquement par l’obtention d’un baccalauréat fortement dévalorisé, le régime de Ben Ali donna un coup fatal à la qualité des formations universitaires sauf dans certains îlots qui ont échappé à ce cataclysme. Le renouvellement des élites en prit un coup dur. Ainsi, c’est avec une jeunesse certainement intrinsèquement bonne mais formée de manière médiocre dans son écrasante majorité, une population adulte éblouie par l’apparition soudaine de la lumière de la liberté et une classe politique sinistrée que se retrouve la Tunisie post 14 janvier.
Reconstruire la gouvernance du pays
D’où la difficulté de la reconstruction d’une gouvernance viable du pays. Cette difficulté est d’autant plus grande que le vide dans l’espace politique est exploité par certains courants fondamentalistes qui s’appuient sur la religion dans l’établissement de leur vision politique même si les évolutions des deux dernières décennies ont tempéré leur ardeur.
D’un autre côté les partis et intellectuels laïcs brillent par leur désunion et leurs rivalités. La révolution était sans leader. La reconstruction l’est aussi et l’avenir de la démocratie est incertain sauf si tous les militants de tous les partis s’engagent à être d’abord des militants pour la reconstruction politique du pays sur des bases démocratiques irréversibles et se décident à y croire fermement. Y croire, en mettant notamment en sourdine la voix de leur ego.
* Universitaire, Ecole nationale d’ingénieurs de Tunis (Enit).
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