Dr Lilia Bouguira écrit – La révolution tunisienne, la nuit et le jour, la peur et la joie, la crainte et l’espoir…
Au début lorsque j’ai poussé la porte de Facebook, je me tenais titubante timide et sans grande verve.
Je m’y glissais craintivement de peur que cela ne soit empreint de mauvaises rencontres, de dragues ou de farces de mauvais plaisantins.
Je me connectais rapidement, envoyais deux ou trois petits messages puis me rétractais lasse, tellement que mon espace ami était restreint et sans grand intérêt. Puis arrivèrent les nuits de veille, celles d’un décembre plutôt chaud malgré les gerçures du froid qui mordait.
La trouille au ventre
Je ne me souviens point d’avoir été plus excitée et plus avertie qu’en cette période. Je me levais en plein sommeil pour surfer sur la toile, chercher des vidéos, courir aux infos et rumeurs d’une révolte qui se fomentait surtout la nuit.
Dans le noir éclairée par la lumière de mon écran, je tremblais de froid mais surtout de peur que mes messages ne soient interceptés, mes lectures aussi et lorsque les pages affichaient «404 ou not found», je me retrouvais à souffler fort car je les imaginais là à venir d’un instant à l’autre défoncer, casser, frapper, torturer et surtout kidnapper.
Je devinais sans grand effort que l’heure était grave et que le peuple était essoufflé, la jeunesse frustrée mais combien la censure et les représailles à leur acmé.
Je filais comme une prière un jeune rappeur arrêté la nuit dans son lit, un autre fils de confrère blogueur, des amis à mes enfants, un journaliste exilé, un autre, puis cet autre, sans imaginer un instant que les choses allaient se précipiter et le cours de nos vies par conséquent.
De fil en aiguille, ma toile d’amis s’agrandissait, les invitations également.
Les informations étaient échangées timidement, voilées en sous-entendus ou livrées comme une annonce tombée du ciel ou un blasphème trompeur ou encore des allusions fausses qui ne reflétaient pas nos points de vue véritables comme des «où veulent-ils en venir avec ces agissements» et nous écoulions l’info sans trop insister la trouille au ventre.
Des nuits entières à balbutier, à espérer muettement car nous censurions la vérité jusqu’au plus profond de nos personnes.
Des nuits entières à prier car les tensions étaient à l'extrême, l’orage grondait en silence mais farouchement.
Unis, solidaires et heureux
Et lorsque le 14 janvier 2011 est arrivé, il trouve un peuple compact, ramassé, solidaire et uni comme jamais auquel un seul mot d’ordre a été assigné: «Dégage!»
Jamais nous n’avons été aussi unis, aussi solidaires et aussi heureux de partager, oui tellement heureux de voir le bout du tunnel, la levée du cauchemar et la fin de la nuit qui a duré plus de vingt trois ans.
Combien nous étions heureux, fluides, souples, émancipés, joviaux, civilisés et d’un sens aigu nouveau, et ma foi combien beau et généreux, de patriotisme et d’humanité.
Sens qui nous a accompagnés des nuits durant pendant la révolte, puis pendant la révolution, puis pendant les nuits de veille des comités de quartiers pour la protection de nos cités et famille, puis dans nos sit-in de la Kasbah vécus dans des airs de fête et convivialité sans précédent, puis encore dans la ruée des volontaires vers les points frontaliers pour aider, secourir, panser et même divertir.
Des cellules de crise plus qu’uniques et exemplaires, humanitaires comme le monde entier en est peu capable, comme un hémorragique qui transfuse son sang à son voisin blessé.
Jusqu’à aujourd’hui encore mon peuple se démène comme un chef pour venir au secours du peuple libyen, des ressortissants et des insurgés en fuite du géhennée ouvert sur eux par un mégalomane génocidaire Kadhafi.
Jusqu’à maintenant nos compatriotes civiles et militaires combattent en riposte farouchement aux côtés des «thouars» (révolutionnaires) libyens parce qu’un fou sanguinaire a décidé de les poursuivre jusqu’en mon pays dans une politique d’extermination des plus diaboliques.
Jusqu’à cet instant, nous comptons plusieurs blessés dans nos rangs parmi nos civils et ceux des «thouwar» et des morts des Kataieb libyens [forces loyales à Kadhafi, ndlr].
Combien tiendrons-nous ?
Quelle sera la prochaine ruse du fou furieux?
Combien serons-nous capables d’héberger de familles libyennes venues en masse à Tataouine ces derniers jours?
Combien de gestes de bravoure serons-nous capables d’offrir dans le silence conspirateur et complice du monde entier?
Combien de nouvelles heureuses et pas heureuses arriveront-elles encore à travers ce formidable réseau internet?
Combien, combien, combien, mais surtout combien ce même réseau nous tient unis haletants au pas de chacun.
L’angoisse des nuits et des jours à venir
Mon peuple comme un grand adolescent est entrain de réécrire son histoire durement avec beaucoup de leurres, de lacunes, d’erreurs, de fausses manipulations, de fausses joies, de faux pas mais sûrement.
Il tente d’assumer comme un grand tout seul son aire de transition.
L’ère semble être au trouble et au «gaâbagi» (anarchie) mais il y arrivera lui si grand dans ces gestes exemplaires et héroïques de chaque épreuve.
Combien seront porteuses d’angoisses les nuits et les jours à venir!
Combien sera insupportable la peur du chaos, de la dé-stabilité, de l’échec et de l’effondrement des rêves de liberté!
Combien seront inestimables les enjeux socioéconomiques, les pertes et les désillusions!
Combien sera grand le déchirement, les crevasses, les écartèlements et l’angoisse de morcellement de la population!
Combien sera géant l’investissement de soi de chacun dans cette transition!
Combien sera capital le regroupement, la tolérance et le droit à la coexistence!
Combien mon peuple sera appelé à être mis à rudes épreuves!
Combien à genoux et à même le sol, il grattera, renâclera, pliera mais se relèvera!