Nasreddine Montasser écrit – Dès le déclenchement de la révolution et la pagaille qui s’en est suivie, une question s’est imposée: qui devrait assurer la continuité de l’Etat dans cette phase particulière de l’histoire de la Tunisie?


Depuis  un 14 janvier, la polémique sur la continuité de l’Etat n’a pas cessé d’enfler. C’est qu’en quelques jours, nous sommes passés de la vacance provisoire du pouvoir à la présidence par intérim. Trois gouvernements se sont succédé en l’espace de quelques semaines.

L’administration supplée l’Etat
A partir du 15 mars, plus rien ne subsiste de l’exécutif et du législatif antérieurs. Une structure ad hoc a été mise en place par la suite pour conduire le pays à l’élection d’une assemblée constituante. Néanmoins, dans ce remue-ménage politique, l’Etat n’a jamais failli dans sa mission essentielle, celle de garantir la continuité de la gestion des affaires du pays.
Si, dans la plupart des pays, on a assisté à l’effondrement de l’Etat avec le déclenchement des révolutions, en Tunisie, l’Etat a continué à fonctionner presque normalement.
Dès lors, il est légitime de se poser la question sur ce qui a permis d’assurer cette continuité. La réponse est, sans réserve, l’administration tunisienne. Alors pourquoi l’administration a-t-elle été capable de suppléer l’Etat et a permis la poursuite de son fonctionnement? Qu’est ce qui favoriserait l’adaptation de l’administration  à la transition démocratique?
L’administration, ce machin que tout le monde dénigre et qu’on  accuse de tous les maux, s’est révélé, à la lumière des événements, le dernier rempart contre l’anarchie générale et contre l’effritement des structures de l’Etat. Pendant la période sombre qui a suivi la fuite du dictateur, une grande partie de l’appareil de l’Etat a poursuivi son fonctionnement presque normalement. Pourquoi?

L’inertie devient une force
D’abord, l’administration s’est révélée d’une telle inertie qu’elle ne s’est pas inscrite dans le changement radical dicté par le moment et n’a pas réagi à la disparition des pouvoirs qui fondent l’Etat. In fine, son défaut majeur s’est révélé être une bouée de sauvetage inespérée pour le pays.
D’ailleurs, l’organisation de cette administration s’est révélée miraculeusement efficace et n’a pas souffert des changements intempestifs et de la disparition de sa classe dirigeante. Ses sous-structures connaissaient ce qu’elles avaient à faire ont continué à le faire presque automatiquement. En plus, ses équipes fonctionnelles dotées d’un niveau appréciable de qualification, de discipline exemplaire et d’un haut sens de responsabilité ont saisi l’importance du moment et ont fait en sorte qu’il n’y ait pas un glissement vers des contestations inutiles malgré les tentations et les provocations nombreuses. Il est encore important de signaler que la faible sophistication des taches administratives exercées a fait que les maillons défaillants dans cette administration ont été vite remplacés sans coup férir.
Ainsi, quant l’Etat s’est trouvé dans une mauvaise posture, il a continué tout de même à assurer consciencieusement la gestion des affaires courantes et l’organisation de la vie des Tunisiens grâce à une administration archaïque mais disciplinée et responsable.
Pour assurer sa mue et relever les défis inhérents à la démocratisation du pays, il est évident que l’administration doit en premier lieu gagner son indépendance vis-à-vis des partis politiques en particulier et de l’Etat en général. En effet, ce dernier va être conduit à intervalles réguliers par des alliances qui vont se faire et se défaire et pour pouvoir juger des promesses des uns et de l’efficacité des autres, l’administration doit faire valoir son indépendance et sa neutralité.

Un trait d’union entre le gouverneur et le gouverné
La politique des gouvernements qui se succéderont au palais de la Kasbah doit être intégralement transmise à la société sans interférence, ce qui permettrait aux citoyens de porter un jugement sur ceux en qui ils ont fait confiance et à qui ils ont donné leurs voix.
Il est aussi primordial que l’administration se penche dès à présent sur la façon de faire évoluer son système de fonctionnement et sur la manière de se débarrasser à jamais des ses réflexes hérités de la dictature. Elle doit tout particulièrement reconsidérer sa relation avec les citoyens d’une part et avec le gouvernement d’autre part, car en définitif, elle est au service du premier sans être l’esclave du deuxième. Sa double relation fait d’elle le trait d’union entre le gouverneur et le gouverné.
Il paraît indiscutable que l’administration doit se débarrasser de ceux qui se sont trouvés en collusion avec la dictature et avec ses instruments. Cette classe, qui a tiré profit de la situation passée, doit normalement et d’elle-même, présenter un profil bas et se défiler sans tapage. Elle doit aussi assumer sa responsabilité politique résultant de son implication dans la concrétisation de la dictature. Elle doit saisir la signification d’une transition révolutionnaire qui veut qu’une nouvelle étape soit faite avec de nouvelles personnes et avec une nouvelle vision. Ne pas comprendre ceci c’est faire preuve d’une myopie historique
L’administration doit aussi revoir son organisation. C’est qu’une forte hiérarchisation serait préjudiciable à son efficacité escomptée. Il faudrait  impérativement limiter les niveaux hiérarchiques et opter pour de petites structures autonomes multi-connexes qui garantissent la rapidité de la circulation de l’information et la meilleure conservation de son contenu. Le lissage de sa structure de fonctionnement est aussi un gage de la limitation des tensions et des conflits d’intérêts et lui permettrait l’autorégulation et l’autocontrôle de ses circuits internes.
Mais ce qui paraît le plus important c’est qu’avec un encadrement meilleur et avec plus de moyens mis à sa disposition, elle doit chercher à créer réellement de la valeur et à répondre à une demande plus exigeante de la part de la société.
C’est ainsi qu’elle atteindrait l’efficience. Celle-ci doit de toute évidence dépasser le cadre de l’apposition d’une signature ou d’une annotation au coin d’une feuille pour atteindre la conception de systèmes performants à grande valeurs ajoutée et garantissant l’accession à un système de bonne gouvernance.
L’administration  en Tunisie a été d’un apport  capital dans la continuité de l’Etat surtout lors des moments difficiles qu’on vient de vivre. Il serait honnête de lui être un tant soit peu reconnaissant. En adhérant au processus de démocratisation du pays, en réussissant sa propre révolution, elle aura encore un rôle plus important à jouer dans la Tunisie de demain.

Source: ‘‘Alliance démocratique’’.