Aboubaker Maghraoui écrit – La Tunisie a vécu plus de 3.000 ans de tolérance. Son histoire en est imprégnée. Les Tunisiens ont de tout temps écarté l’extrémisme et ils continueront de le faire car ils n’ont plus peur.
La Tunisie a trouvé le courage le 14 janvier de vaincre toutes ses peurs et de briser les chaines de la dictature, de la pensée unique et de la propagande politique. Pourtant, la peur est de nouveau désormais un sentiment partagé par beaucoup de citoyens. Certains aujourd’hui n’osent pas clamer tout haut le rejet de l’extrémisme religieux et de l’islam politique par crainte que ces derniers prennent un autre jour le pouvoir et que s’en suive une nouvelle purge idéologique, à l’instar de celle vécue durant les vingt dernières années de plomb.
Cette tendance est d’ailleurs exploitée par les mouvances extrêmes religieuses qui profitent tant de l’indécision politique que de la récupération d’une révolution à laquelle ils n’ont nullement contribué.
Se méfier des mots et des grandes idéologies
Les partis politiques à caractère religieux se jouent des Tunisiennes et des Tunisiens en leur affirmant que pour être un bon musulman, il faut vivre dans une société dont la gouvernance n’est non plus politique mais régie par des principes religieux.
Ce raisonnement est faux. Rappelons tout d’abord que l’islam sunnite n’a pas de clergé et qu’il ne repose de ce fait sur aucun dogme idéologique. Il est une affaire personnelle qu’il faut aujourd’hui définitivement dissocier du politique.
L’islam politique n’a donc pas sa place en Tunisie, pays à majorité sunnite. Nos lois sont fondées sur un droit positif et notre vie politique de demain le sera également.
Je suis de ceux qui pensent que l’histoire est un bon éclaireur et que nous devons retenir ses leçons afin de ne pas connaître de nouveau ses horreurs. Le XXe siècle nous a appris à nous méfier des mots et des grandes idéologies. Une démocratie fondée uniquement sur les mots et le double langage peut accoucher des pires horreurs de l’humanité.
Les Allemands d’entre les deux guerres se sont ainsi laissés berner par le double langage de quelques illuminés qui leur avaient fait miroiter une dignité retrouvée en les faisant plonger dans l’extrémisme idéologique. L’humanité en a hélas payé un trop lourd tribut.
Les mots qui ne sont pas accompagnés d’une vision politique claire et précise sont un danger duquel il faut se protéger. Le danger de l’extrémisme religieux est double.
Les dangers de l’extrémisme religieux
Le premier est un danger physique. Les partisans de ces partis profitent de l’insécurité dans laquelle se trouve encore notre pays pour agresser ouvertement des intellectuels, des artistes ou des cinéastes. Doit-on attendre que nos sœurs, nos épouses ou nos amies soient molestées pour condamner cela? La réponse est évidemment non. Nous ne pouvons tolérer l’intolérance.
Le second danger est celui des mots, des insultes et des agressions verbales que les Tunisiennes peuvent entendre lorsqu’elles souhaitent affirmer leur féminité, leur beauté ou tout simplement leur liberté.
Peut-être est-il désormais nécessaire de rappeler à tous ceux qui souhaitent exclure dans l’avenir nos femmes de la vie politique économique et sociale que c’est bel et bien une femme, Elissa Didon, qui, de par sa grandeur, sa ruse et son intelligence politique a dessiné les frontières et a écrit les lignes les plus nobles de notre histoire.
N’ayons donc pas peur aujourd’hui de condamner la haine et les pressions rétrogrades. N’acceptons plus le double langage et ne laissons plus personne tirer profit de notre révolution. L’idéologie extrémiste est un fléau qu’il faut ouvertement et continuellement combattre. C’est notre devoir à tous de le faire.
Ainsi, clamons haut et fort et rappelons partout que plus de la moitié des personnes qui nous ont rendu notre dignité après plus d’un mois de révoltes étaient des femmes et non pas des islamistes ou des fondamentalistes. Ce sont nos femmes qui ont affronté les balles et soigné les blessés. Je me rappelle lors des vagues de contestations d’hommes et de femmes libres, le visage découvert criant leur appel de la démocratie et de la modernité!
Non seulement les porteuses de niqabs n’ont pas lutté pour notre démocratie mais elles la menacent aujourd’hui et tentent de la voler, de la détruire, d’en faire une simple parenthèse de l’histoire.
Interdire les débats politiques dans les lieux de culte
Enfin, nous assistons également hélas, de manière consciente ou inconsciente, à une sur-médiatisation disproportionnée de cette minorité d’extrêmes par rapport à leur apport pour la démocratie et la Tunisie. Ces derniers n’ont pas de vision politique solide, n’offrent aucune garantie pour la conservation de la démocratie et ne possèdent aucun programme macroéconomique ou microéconomique concret et réaliste. Sans compter le fait que leurs partisans ne connaissent que la provocation et la ruse. A quoi bon prier dans la rue si ce n’est dans le but de provoquer et de dérégler la vie passante quotidienne. Il me semble que la Tunisie abrite suffisamment de lieux de cultes pour accueillir l’ensemble de sa population lors des rituels religieux et des prières. La rue est l’espace de la liberté citoyenne et de l’échange politique contrairement aux mosquées qui sont des lieux de culte et non de propagande politique. Que l’on renvoie les prieurs de rue dans les mosquées et que l’on sorte et interdise les débats et propagandes politiques de nos lieux de culte.
Le temps de la responsabilité est donc désormais venu. Nous devons tous nous unir face aux tendances extrémistes importées et étrangères à nos valeurs, à notre culture et à notre histoire. Les médias devraient de ce fait donner davantage la parole aux partis qui œuvrent réellement pour la démocratie et la construction d’une république solide. Que l’on relaie les idées et la vision de l’ensemble des partis qui composent le bloc républicain et démocratique afin qu’ils énoncent leurs programmes et les principes inviolables que devront respecter les futurs membres de la Constituante, à savoir la consécration définitive du droit des femmes, de l’ensemble de nos acquis sociaux et des libertés individuelles. Car ce sont eux les vrais relais de la démocratie et non les idéologues et les propagandistes.
La Tunisie est fière de ses femmes, de ses mères et de ses filles, de ses savantes et de ses médecins, de ses artistes et de ses écrivains. Notre pays a vécu plus de 3.000 ans de tolérance. Son histoire en est imprégnée. Nous avons de tout temps écarté l’extrémisme et nous continuerons à le faire car nous n’avons pas peur.
* Ancien élève du lycée Louis Le Grand à Paris, étudiant à l’Edhec Business School (dernière année en MSc Entrepreneurship).