Ghazi Meziou* écrit - Il ne sortira rien de l’égalité, ni de la mise à niveau démocratique, sauf si les requins – qui se reconnaîtront – accepteraient enfin de coexister autrement avec les poissons rouges.


Coluche disait et avait raison de dire: «Nous sommes tous égaux, mais il y en a qui sont beaucoup plus égaux que d’autres».
L’égalité est une belle idée, un a priori indiscutable. Cela étant et même s’il ne fait aucun doute que l’idée d’égalité fut – en son temps – révolutionnaire, je pense qu’elle ne l’est plus. L’égalité est aujourd’hui une idée conservatrice. Un combat d’arrière garde, bon pour les cours d’histoire de la démocratie.
Quand les Français prenaient la Bastille, ils ne pensaient pas à l’égalité, ils pensaient au pain, à leur misère et à l’injustice qu’ils subissaient. Ce n’est qu’après que l’élite révolutionnaire a imposé l’égalité comme valeur de référence. En 1789, il y avait plusieurs catégories de Français et l’idée d’égalité révolutionna cet équilibre et imposa la citoyenneté pour tous.
Depuis, cette idée s’est propagée dans le monde et, combinée avec celle de la liberté, a permis aux droits de l’homme de s’imposer comme une valeur – plus ou moins – commune à l’humanité.

Vouloir plus, vouloir mieux
Cet idéal, vieux de plus de deux siècles, nous l’avons voulu. Et si rien ne dérape, nous l’aurons.
Nous aurons notre «normalisation». Nous aurons notre «mise à niveau globale». Une perspective, au final, assez peu enthousiasmante. Une sorte de rêve démocratique au rabais, le pendant droits-de-l’hommiste de l’ambition qu’affichait le Rcd de réaliser une «mise à niveau globale» de notre économie. Mettre à niveau, c’est vouloir autant. Et vouloir autant, ce n’est ni vouloir plus ni vouloir mieux.
Cette mise à niveau démocratique aboutira – au mieux – à une société aussi juste (ou injuste, selon les points de vue) que les sociétés occidentales actuelles, dont aucune n’est à l’abri d’une révolution plus ou moins spontanée.
J’observe, avec curiosité, l’évolution grinçante des rapports sociaux en Grèce, au Portugal… et je me dis qu’entre la crise économique mondiale dont le monde feint de sortir, la hausse inachevée du prix des matières premières (blé, pétrole, métaux…) et l’exemple démangeant du printemps arabe: les conditions d’une révolution dans certains pays démocratiques ne sont pas loin d’être remplies.
N.T.M. se posait une question évidente: «Qu’est qu’on attend pour foutre le feu?» et y répondait de manière toute aussi évidente: «Juste d’être un peu plus nombreux».
Voulons-nous construire une société où nous (ou les autres) attendrons, à nouveau, d’être «un peu plus nombreux»?
C’est ce à quoi nous conduira notre rêve démocratique au rabais. C’est ce qui nous attend, si nous n’arrivons pas à saisir la profonde injustice sociale de l’idée d’égalité.
Dans l’océan, tous les poissons sont égaux, sans considération de leur sexe, couleur, taille ou religion. Une démocratie à la française. Dans l’océan, le requin et le poisson rouge ont exactement les mêmes droits: le requin a le droit de manger le poisson rouge mais le poisson rouge a également le droit de manger le requin. Malheureusement, on manque de statistiques fiables sur qui du requin ou du poisson rouge à plus tendance à manger l’autre.

L’injustice de l’égalité
Dans les sociétés humaines, la situation est différente: on sait!
On sait que les universités sont ouvertes à tous… et profitent davantage aux classes sociales supérieures.
On sait que le marché de l’emploi est ouvert à tous… et profite davantage aux classes sociales supérieures.
On sait que la vie politique est ouverte à tous… et profite (et continuera, malgré la révolution et malgré la parité, à profiter) davantage aux classes sociales supérieures, aux hommes et aux «moins jeunes».
On peut multiplier à l’infini les exemples démontrant l’injustice de l’égalité.
Notre pays évolue dans un contexte mondial, il ne peut – de ce fait et du fait de sa petite taille – s’exonérer du respect des règles du jeu économique, imposées par les plus forts. Qu’on y adhère ou pas, la loi du marché et l’économie mondialisée sont – aujourd’hui – des contraintes contre lesquelles nous ne pouvons rien. C’est dans leur cadre, et avec la contribution de tous, que nous devons essayer de tirer notre épingle du jeu, de maximiser notre croissance.
Toutefois, pour ce qui est de la manière dont nous souhaitons coexister, nous avons une marge de manœuvre qui – bien que limitée – est autrement plus importante qu’en matière économique. Nous avons la possibilité d’imaginer des rapports sociaux différents, fondés sur l’idée – plus complexe à manier – de  justice et non sur l’idée, convaincante mais inefficace, d’égalité.
Après, bien sûr, cela suppose que nous – requins – devrions accepter de coexister autrement avec les poissons rouges. Nous devrions accepter de résister à notre faim au passage d’un banc de poissons rouges amaigris par leur combat sans perspective et, pourquoi pas, accepter de leur laisser quelques mètres d’avance quand nous ferons la course dans les fonds marins vers des ambitions concurrentes. C’est à ce prix là que nous mériterons peut être de gagner. Au prix d’un changement radical et véritablement révolutionnaire de notre approche de la coexistence sociale.
Il ne sortira rien de l’égalité, ni de la mise à niveau démocratique. Rien, à part un répit, plus ou moins long, le temps qu’il faudra aux poissons rouges – glabres ou «barbus» – pour devenir un peu plus nombreux.

* Cabinet Meziou et Knani.