Walid Bel Hadj Amor écrit – «Un bon discours politique ne doit émettre que des idées avec lesquelles tout le monde est déjà d’accord avant!», disait Coluche. Vérification de cette thèse sur le discours politique tunisien...


Nous assistons depuis quelques semaines en Tunisie à des dérives sociales, politiques et religieuses. Les actes d’incivilités et parfois de violence que nous voyons dans les entreprises, les stades et même dans les rues, régulièrement envahies par les fanatiques du prêche du vendredi, sans qu’aucun parti ni responsable politique (à de rares exceptions près), y compris du gouvernement, ne condamne, ni même ne s’exprime, et quand il s’exprime c’est souvent pour botter en touche et ne pas s’attaquer au fond du problème. Circulez, il n’y à rien à voir, nous avons des élections à préparer!

Farhat Rajhi en relayeur
Mercredi 4 mai, une bombe médiatique débarque sur la toile. Farhat Rajhi s’exprime devant micros et caméras, son intervention est confuse et mal structurée, probablement mal préparée et irréfléchie. Mais elle pose une réelle question fondamentale en démocratie. Un responsable politique en activité doit il dire tout ce qu’il sait ou croit savoir, au risque de semer le trouble et le désordre? S’il pense être en possession d’informations et non de preuves, qui peuvent laisser penser qu’il y a un complot mené par un groupe de personne contre la république, doit il se déclarer ou se taire? Dans cette affaire, la réaction des partis a été très différente puisqu’ils se sont tous hâtés de réagir à ces déclarations, en condamnant leur auteur, et en apportant leur soutien à l’armée. Certains partis ont demandé au gouvernement d’apporter les clarifications qui s’imposent.
Tout d’abord, il faut revenir sur les conditions des ces déclarations, et noter que Farhat Rajhi n’apporte aucune preuve pour étayer son discours, et qu’il a fait un amalgame entre les faits et ses propres analyses et interprétations. Il aurait été plus judicieux de se limiter aux faits, s’il en est.
Des faits qui appellent des questions, mais qui dans un autre contexte n’auraient pas soulevé toute cette agitation, d’autant qu’ils étaient connus de tous, sils ne s’accompagnaient d’une interprétation personnelle qui a semé le trouble.

La politique entre marionnettistes et grand guignol
Face à ces déclarations alarmantes, que se passe t-il? D’abord un déchainement politico-médiatique contre le Farhat Rajhi. Le gouvernement réagi par la voix du conseiller en communication du Premier ministre, qui rappelons le n’est pas membre du gouvernement, cherchant à décrédibiliser personnellement Farhat Rajhi, au lieu d’apporter les éclaircissements redus nécessaires. Puis viennent les réponses dudit conseiller de l’ombre, pas plus membre du gouvernement que le précédent, qui nous vendra son passé politique absent des livres d’histoire, et son grand sens du devoir au service de son pays.
Enfin, vient le silence assourdissant du Premier ministre, qui a jugé inutile de faire la moindre déclaration, ni d’apporter la moindre réponse aux interrogations qui agitent le peuple, et cela jusqu’au dimanche soir. Mais c’était un peu tard, car les propos de M. Rajhi ont eu les conséquences que l’on sait: des manifestations et des débordements réprimés de manière musclée par la police, ce qui a créé une atmosphère malsaine dans le pays et rajouté de l’huile sur le feu.  
M. Caïd Essebsi  s’est-il vu au-dessus de cela: les chiens aboient et la caravane passe! N’y a-t-il pas là un peu du mépris pour le peuple qui a tant caractérisé le pouvoir politique en Tunisie depuis 1956? Chassez le naturel il revient au galop! Quand on a été élevé au son du parti unique, on n’est pas prêt à céder aux sirènes de la démocratie et du dialogue. Une fois au pouvoir, on reproduit les mêmes hymnes et les mêmes fausses notes. Le Premier ministre du gouvernement provisoire ou plutôt transitoire a même appliqué vis-à-vis des journalistes une formule chère à George Marchais: «Vous venez avec vos questions, je viens avec mes réponses».
Ce que les gens de tout bord attendent aujourd’hui c’est une communication officielle qui, en temps de crise, se doit d’être régulière, fiable et transparente. Certes le gouvernement ne peut pas tout dire sur tout, mais est-ce une raison de ne rien dire sur rien. Un point de presse hebdomadaire de son porte-parole est le minimum que le gouvernement puisse faire. C’est à cette condition que les manipulations de l’information cesseront, que le calme reviendra, et que les interventions nécessaires au maintien de l’ordre et de la sécurité des biens et des personnes pourront se faire.
Je voudrais à l’occasion de ces épisodes cahotiques relever l’absence du monde politique tunisien, celui-là qui se targue de vouloir diriger ce pays. Peut-on être un leader d’opinion et ne pas s’exprimer avec la gravité et la responsabilité requises pour un sujet tel que celui-là? Le rôle du politique n’est-il pas de s’exprimer et de contribuer à la formation de l’opinion publique, y compris de prendre le risque de déplaire parfois? Ce qui est sûr, c’est que le leader politique n’a surtout pas le droit de se cacher derrière son petit doigt, chaque fois que le sujet est épineux, et qu’il pourrait donner lieu à polémique et controverse. A l’occasion de cette affaire, les leaders politiques et les chefs des partis ont brillé par leur quasi-mutisme, coincés qu’ils sont entre le désir d’un rapide retour au calme, et à la difficulté à adhérer sans réserves à l’action et méthode du gouvernement.
Nous avons finis par être coincés entre marionnettistes et grand guignol, entre ceux qui se réclament de la politique et agissent dans l’ombre, et ceux qui par peur de la réaction de l’opinion s’expriment dans un langage si ampoulé qu’il en devient creux. Le pire c’est qu’ils se croient intelligents, tant pis s’ils ne sont pas intelligibles.

Le sens du politique
La politique concerne l’organisation de la part publique de la vie de la cité, et l’homme politique se doit de marquer son opinion sur tout ce qui concerne la vie de son pays et de ces citoyens. Les actes et les positions du politique doivent apparaître en public, sans chercher systématiquement à en maîtriser les conséquences, au risque de verser dans le calcul politique.
Le sens du politique ne doit pas être la prise en compte des rapports de force et la mise en œuvre d’une stratégie pour la domination fut-elle par les idées, mais bien de mettre en commun, pour le bien de la cité, les actes et les paroles et d’incarner la pensée politique.
Le politique à vocation à contribuer à la formation de la pensée citoyenne, sur les enjeux de la société, il se doit d’être à l’avant-garde de la réflexion, en prenant appui sur l’actualité nationale et internationale, pour indiquer une direction et donner une signification à ce qui se passe autour de nous, et proposer les clés pour décrypter le monde qui nous entoure.
C’est l’expression de l’opinion du politique en toutes circonstances qui contribuera à l’épanouissement de la démocratie, à l’éveil des consciences et à la consécration de la citoyenneté, sans crainte d’une sanction électorale à chaque prise de position.
Le paysage politique tunisien requiert aujourd’hui de faire éclore des femmes et des hommes clairvoyants capables de montrer les chemins à suivre, et suffisamment courageux pour anticiper les événements, orienter les débats et structurer l’opinion. Le rapport à la chose politique a changé depuis le 14-Janvier et les partis devront en tenir compte pour être en phase avec les attentes des citoyens.