A ce moment-là, on dira adieu à la démocratie, aux libertés, au progrès, à la quiétude et à la douceur de vivre dans notre chère Tunisie tolérante, ouverte et moderne.
En ce temps là…
Quelques mois auparavant, du temps de Zaba, qui aurait imaginé un tel scénario? En ce temps là, comme dirait Prévert, la vie était plus belle et il faisait bon déambuler tranquillement dans l’Avenue Bourguiba sans zigzaguer entre les fils barbelés. Il faisait bon s’attabler en toute quiétude à la terrasse d’un café avec sa famille sans le regard inquisiteur d’un barbu qui regarde de travers votre femme. On pouvait siroter une bonne bière au bord de la plage en maillot de bain et se rincer l’œil sur les jolies naïades. On pouvait dormir tranquillement sans être réveillé par des mégaphones faisant de la propagande politique sous couvert d’appel à la prière. On pouvait aller à la prière du vendredi pour écouter la bonne parole sans être agressé par des illuminés en transe appelant à l’assassinat des mécréants. Nos filles ne risquaient pas dans la rue d’être vitriolées parce qu’elles s’habillaient à la mode – cela ne s’est pas encore fait, mais le risque est réel –, et nos femmes agressées par certains énergumènes dans les espaces publics parce qu’elles ne portaient pas le voile – ça c’est déjà fait, et plus d’une fois – !
En ce temps là, on ne rencontrait pas dans les rues des femmes drapées dans de drôles d’accoutrements noirs, ni de barbus en train de haranguer chaque vendredi les foules des jeunes curieux désœuvrés en appelant à la haine et à la violence
Ah qu’il était bon le temps de Zaba où toute la Tunisie était laborieuse, persévérante, réalisant annuellement une croissance de 6%, sans être obligée de quémander de l’aide chez les pays amis. Qu’il était bon ce temps où les grèves dans les entreprises étaient quasiment anecdotiques, où nos enfants allaient tous les jours à l’école sans être renvoyés par les enseignants grévistes. Qu’il était bon le temps ou le mot «a3tissam» (sit-in) était tout à fait étranger à notre vocabulaire, où le grabuge était inexistant, où les brigades d’ordre public étaient au chômage, ou le derby CA-EST était une fête joyeuse qui se déroulait dans une ambiance bon enfant.
Au train où vont les événements...
Qu’il était bon le temps où les rues étaient à peu près propres sans être transformées en dépotoirs infects pour cause de grève municipale, où à chaque intersection il y avait un flic qui veillait au grain pour notre sécurité, où l’on pouvait veiller tard la nuit sans risquer de se faire braquer sur l’autoroute en rentrant à la maison.
Qu’il était bon le temps de Zaba où les chefs d’entreprises dormaient sur leurs deux oreilles sans être hantés par les sempiternels «Dégage !»; où les usines travaillaient à plein régime pour exporter et faire rentrer au pays des devises.
Qu’il était bon ce temps où on n’allait pas aux élections sachant que Zaba raflait 99 pour cent des voix, et nous dispensait de nous brûler les méninges à choisir entre 60 partis politiques!
Au train où vont les événements qui secouent actuellement notre pauvre Tunisie, et à défaut d’un réveil national lucide et responsable, on risquerait de regretter un jour le temps où il faisant bon vivre en Tunisie quand c’était pire !