Mongi Karrit écrit – Crise de confiance, déficit de légitimité, situation sécuritaire volatile et une économie à la dérive… Les Tunisiens doivent se réveiller…


La révolution tunisienne du 14 janvier s’est débarrassée de la dictature et le «wind of change» a commencé à souffler sur le pays. Les voix jadis si basses se sont élevées. Une forme d’expression libre a commencé à se développer dans tous les milieux. Les sit-in, les manifestations spontanées et dirigées, les grèves, les bandes rouges et noires de protestation, les revendications sociales font désormais partie du paysage post-révolution.
Tout est permis au nom de cette révolution: les braquages, les vols, les viols, l’occupation des routes, l’interruption des moyens de transport, l’immobilisation des ports et des aéroports, les évasions des prisons, la perturbation des meetings, l’organisation de manifestations illégales, la prière sur la voie publique, la violence verbale et physique envers ceux qui sont différents par leur tenue vestimentaire, leurs idées et convictions, les guerres tribales, la prolifération des commerces parallèles, la contestation des décisions des gouvernements, etc. Bref, un paysage chaotique tout à fait nouveau qui demeure hors contrôle.
En même temps, la situation économique du pays est en difficulté. Les touristes ont déserté le pays. Les sociétés étrangères envisagent de se localiser ailleurs dans des environnements socio-économiques sécurisés. Certaines entreprises locales ont interrompu leurs activités suite aux actes de vandalisme. Quelques milliers de chômeurs viennent de s’ajouter au nombre impressionnant de chômeurs. Les investisseurs potentiels craignent pour leur argent. La stabilité n’est pas garantie en raison d’une sécurité irrégulière dans le temps et dans l’espace. Les responsables des pays européens et des bailleurs de fonds affluent vers notre pays pour fournir de l’assistance financière et soutenir la transition démocratique.

L’intérêt personnel ne doit pas primer sur l’intérêt national
Sur le plan politique, on a enregistré l’émergence d’une multitude de partis politiques. Les mouvements jadis interdits sont maintenant libres. Grâce à la révolution, ils ont obtenu l’autorisation de constituer des partis. Le parti Ennahdha en particulier doit la liberté dont il jouit à cette révolution spontanée qui a scandé des slogans tels que: «Nous n’accepteront pas Ben Ali même si nous devions vivre avec peu de pain et d’eau», «Rcd Dégage», «Dignité et liberté».
Dans un premier temps, les partis politiques ont, avec d’autres organisations et associations, intégré la Commission pour la protection de la révolution. L’idée était de contrôler le gouvernement provisoire. Par la suite, ils ont rejoint la Haute instance présidée par Yadh Ben Achour chargée de la préparation des élections du 24 juillet. Sous leur pression, cette instance a été renforcée sous la dénomination de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, la réforme politique et la transition démocratique. Bien que les membres de cette instance n’aient pas été élus par le peuple, beaucoup d’entre eux considèrent leur instance comme une assemblée de députés dont les propositions doivent être approuvées par le gouvernement actuel. Les modes de scrutin ont été choisis en fonction de leurs aspirations politiques. Le mode de scrutin relatif aux personnes indépendantes, en dépit de ses avantages pour l’échéance à venir, a été écarté. Les responsables du Rcd durant les 23 années du règne du président déchu ont été interdits de se présenter aux élections du 24 juillet. S’agit-il de protéger la révolution de ceux qui se sont toujours opposés aux libertés et à la démocratie ou est-il question de les punir en les privant de jouer un rôle dans la période à venir, ces derniers n’ayant pas à ce jour fait leur mea culpa.
Alors que certains partis manifestent, au sein de cette instance, un refus catégorique à la candidature des Rcdistes à l’assemblée constituante, ils s’ingénient en cachette à les séduire en vue d’assurer la plus large représentativité au sein de l’assemblée. Les partis se constituent actuellement en fronts pour l’échéance du 24 juillet. L’intérêt personnel prime sur l’intérêt national.
Il est attendu de la future assemblée une constitution de liberté, de démocratie, de tolérance. Or ce qui dessine à l’horizon c’est une situation sombre: les partisans du Rcd cherchent à entraver la transition par divers moyens.
L’extrémisme risque de l’emporter et de faire échouer toute tentative de démocratisation de la vie politique. Le parti Ennahdha, dont les messages sont contradictoires, se veut rassurant mais semble dissimuler des desseins anti-démocratiques. Il persiste dans sa position de refus de signer le pacte démocratique sous prétexte qu’il ne peut être imposé à la future assemblée souveraine.

Faire preuve de solidarité et de tolérance
Sur le plan sécuritaire, les troubles sur nos frontières vont probablement perdurer. La gestion des flux de refugiés devient de plus en plus difficile. La réconciliation de la police avec le peuple prendra du temps. Pour ce qui est de la justice,  les verdicts tardent à venir pour apaiser les douleurs des familles des victimes.
Sur le plan économique, la croissance, dans le meilleur des cas, ne dépassera pas cette année 1%, ce qui veut dire qu’un grand nombre de jeunes deviendront chômeurs. Des centaines de milliers de Tunisiens auront des difficultés financières cette année si la saison touristique ne démarre pas comme prévu. Le pays deviendra plus endetté en raison des prêts qui lui seront accordés pour faire face à cette situation critique. La pauvreté, le mécontentement et le chômage dans les régions de l’intérieur risquent d’entraver la transition démocratique.  
Pour réaliser les objectifs de la révolution et garantir l’instauration de la démocratie, de la liberté et de la modernité, tous les Tunisiens devraient faire preuve de solidarité, de tolérance et de patriotisme. Nous devons apprendre et assimiler les principes de liberté, de respect, de citoyenneté.
Notre pays est en danger. Notre avenir est incertain. L’intérêt national devrait l’emporter sur l’intérêt individuel. La machine économique doit redémarrer. Les régions défavorisées doivent bénéficier d’une attention particulière en matière de développement et d’emploi. Le gouvernement doit être soutenu dans ses actions. Les sit-in doivent cesser. Les revendications doivent être reportées. Il en est également pour les grèves. Les meetings doivent se dérouler dans de bonnes conditions et sous protection de la police. Les supporters de l’ancien régime doivent se faire oublier le temps que la société se réconcilie. La police doit reprendre service et prendre les mesures adéquates face aux différentes situations car la démocratie n’est pas synonyme de chaos et d’irrespect d’autrui.  Les criminels et les donneurs d’ordres ainsi que les corrompus de l’ancien régime doivent être traduits en justice. Le pays doit apprendre à pardonner. Il y va de sa cohésion.
Les partis aux convictions et valeurs démocratiques doivent, quant à eux, prouver ce qu’ils prétendent être et vouloir pour notre pays avant de nous présenter leurs programmes politiques. Ils ne doivent oublier que leur mission primordiale au sein de l’assemblée consiste à élaborer une constitution qui respecte les objectifs de la révolution.
Les partis islamistes doivent apprendre à faire de la politique sans religion, que l’islam est la religion de tous les Tunisiens et que son utilisation à des fins politiques risque de nuire à la cohésion sociale et de remettre en cause les acquis. Tous les candidats aux élections de l’assemblée constituante doivent signer un engagement démocratique et moderniste. Les partis doivent saisir le sens et l’importance de la constituante pour la Tunisie de demain. La société civile est également invitée à œuvrer dans le sens de la préservation des acquis et l’instauration de la démocratie.
Enfin, il incombe à tous les Tunisiens de se mobiliser, d’être vigilants et de commencer à pratiquer la démocratie par la participation aux élections.

* Citoyen de la masse silencieuse.