Dr Lilia Bouguira écrit – Une contribution sur le flou où nous baignons, le breakdown ou l’attaque du corps…


Ce matin et les autres jours sont des jours à redouter, imprévisibles, justes à vivre.
Un flou gouverne les esprits, un malaise empoisonne l’air et un souffle de tornade risque de nous emporter.
Depuis la révolution, un peuple aphone, maltraité, infantilisé, violé mentalement et physiquement, reprend vaillamment mais rapidement sa liberté dans une excitation sans précédent.
C’est la première fois qu’on le sépare de son objet à la fois de haine et d’amour qui est la dictature sur un modèle œudipien.
Processus salvateur obligé, inévitable, mais combien houleux et ma foi douloureux.

Pouvoir s’engager véritablement
Un véritable travail de désengagement est à élaborer pour pouvoir s’engager véritablement. Il ne s’agit point de gommer et de réécrire à nouveau son destin  ni de changer de peau pour une nouvelle comme si on rentrait dans un costume neuf.
Un travail de lutte constante sans relâche avec tout ce que comprend ce combat de doute, de tristesse, de deuil pour l’objet perdu, de remaniements internes et externes, de mise à nu des points faibles, d’acquisition de positions nouvelles, de concepts nouveaux, de déchirure, de fêlures et d’angoisses omniprésentes parce que mon peuple ne sait pas à quoi il va ressembler une fois arrivé à bon port après la transition.
Il est  perdu comme cet adolescent récemment pubère qui ne se reconnait plus dans ce corps qui change malgré lui.
Il y a conflits et angoisses permanentes sources de grandes fragilités.
Ce surcroit d’excitation est alimenté par ces divergences d’idées, d’appartenance, de clivage d’idées politiques, de contradictions , de réactions défensives, d’exacerbation et surtout de pulsions incestueuses où plane la menace quasi constante de fricoter avec l’ancien régime.
Ce grand ado dans sa crise identificatoire doit caler cette excitabilité pour ne pas sombrer: soit dans la passivité, et là il y aura retour à case départ et donc nouvelle dictature, soit se manifester, tout contester, travailler en mode surexcité pour pouvoir traverser le passage obligé de la transition.

Cette fragilité identitaire
Tout cela réinsuffle en chacun un sentiment d’existence combien doux, fort, pénétrant, bousculant mais ravageur, si les soubassements et la charpente de ce pays sont déjà fragilisés.
C’est là le réel danger.
Face à cette fragilité identitaire, pour sauvegarder l’illusion d’existence et de liberté récemment acquise, mon peuple comme un parfait  ado s’en prend à son propre corps car c’est son unique espace d’expression pour l’attaquer.
C’est le breakdown ou l’attaque du corps, et c’est ce qui  bien tristement nous arrive.
Dès le premier jour et ceux qui ont suivi notre révolution, nous avons commencé à nous mutiler les uns les autres, à nous dépecer, à nous aliéner par des addictions dangereuses et des comportements violents et agressifs.
Tout cela dans le but de se défendre et d’échapper à la menace incestueuse.
Pour rien au monde, mon pays ne se re-flirtera avec la dictature, mais on oublie que lorsqu’on nait dans la répression, on est volontiers répressif et que lorsqu’on est nourri d’exclusion, on est d’emblée exclusif, à moins de se faire accompagner, de s’aider de stratégies sûres et bienveillantes pour l’accomplissement de l’émancipation de ce peuple en corps d’ado dans sa transition vers un peuple mature et épanoui.
Descendre à la rue encore une fois, je ne sais pas si je dirais oui à un non, stop, en porte ouverte paralysante, car c’est de notre économie personnelle qu’il s’agit, mais en mode bande, groupe de relais et tous ensemble pour les mêmes revendications, je dirai certainement oui.
Décréter un sit-in national réfléchi oui.
Mettre à nu le gouvernement de transition combien cachotier oui.
Pousser devant les tribunaux pour explications et préservations de droit oui.
Amener Rajhi et les autres devant l'unanimité pour parler ou encore à s’expliquer et éviter les mutineries et les tueries oui et encore oui sinon qu’il se taise à jamais!