Tarak Arfaoui écrit – La compassion est une prédisposition à la perception et la reconnaissance de la douleur d’autrui, entraînant une réaction de solidarité active, ou seulement émotionnelle.


Ma compassion va en premier lieu pour mes chers compatriotes, pour le peuple tunisien orgueilleux et fier, qui a certes plié l’échine pendant un quart de siècle, mais qui n’a jamais rompu, en supportant pendant tout ce temps l’injustice et la tyrannie. Elle va aussi pour les parents dont les martyrs ont payé de leur vie la liberté et la dignité retrouvées et qui sont encore hantés par les souvenirs impérissables des chères personnes disparues.
Ma compassion va pour ces citoyens qui se sont spontanément soulevés contre la dictature sans directives partisanes ni doctrines politiques et qui, malgré les sacrifices consentis, se sentent aujourd’hui délaissés et ne voient pas encore le bout du tunnel. Elle va aussi pour les jeunes désœuvrés, déboussolés, vivant dans la précarité la plus totale et à la merci des politicards de toutes tendances qui, pour de vilains desseins politiques, les manipulent à leur guise et les jettent dans la rue pour semer l’anarchie.
Je compatis aussi avec les ouvriers et fonctionnaires de tous bords qui sont tombés dans le piège de la grève à outrance pour des revendications parfois insensées, ne se rendant pas compte qu’ils sont souvent manipulés par des  syndicalistes véreux et aux desseins ambigus.
Je compatis avec ces jeunes militants des extrêmes politiques que j’ai croisés à l’avenue Habib Bourguiba, à Tunis, lors des manifestations, certains portant les portraits de Che Guevara et même de Lénine en croyant encore, en cette période  de mondialisation et du triomphe du libre-échange, à la dictature du peuple et  du prolétariat, et d’autres, barbus jusqu’au nombril, portant des drapeaux noirs aux slogans moyenâgeux et qui croient encore aux pères Noël de la dictature religieuse.
Je compatis avec les militants de la soixantaine de partis politiques qui ont eu le courage, dans ce tohu-bohu démocratique, de créer des partis, de se jeter dans la mêlée, souvent sans logistique ni source de financement.
Je compatis avec certains dirigeants de la gauche, trop longtemps bâillonnés par Zaba qui se sentent tout-à-coup orphelins de sa dictature et n’arrivent plus, après la révolution à se débarrasser des vieux clichés qui leur collent à la peau et à la langue, en boycottant systématiquement toute initiative gouvernementale, en se plaignant de tout, en rouspétant, en dénigrant, en jouant aux éternelles victimes  et, en même temps, aux pyromanes invétérés, sans rien proposer de positif et de concret.
Je compatis aussi  avec ces militants de la droite religieuse (un pléonasme) se faisant mener en bateau par certains de leurs vieux dirigeants au passé douteux, qui manipulent leur fibre religieuse avec des arguments à faire dormir debout un insomniaque, en leur racontant des inepties moyenâgeuses en déphasage complet avec la réalité du pays.
Ma compassion va aussi pour certains militants sincères du temps de Zaba qui, malgré les sacrifices et le dévouement pour la patrie, se trouvent brutalement rejetés comme des pestiférés de la scène politique sans pouvoir exercer leurs droits civiques.
Enfin, je ne terminerai pas cette litanie sans exprimer une grande compassion pour le pauvre Zaba qui, avec les centaines de milliards qu’il a détournés et les kilos d’or que sa vipère d’épouse a emportés dans ses valises ne peut même pas rêver de se payer un thé à la menthe sur la terrasse d’un café de Tunis en respirant l’air vivifiant et ô combien unique de notre chère Tunisie.