Dr Lilia Bouguira écrit – L’amour d’un pays, la douleur de l’éloignement, la joie du retour, puis l’ennui, la désaffection, la mort. Mourir d’aimer…


Il n’y a pas si longtemps, j’ai été à l’aéroport. Un homme menu et aux cheveux grisonnants, dès son passage de la porte de l’aéroport, se rue et s’agenouille et embrasse le sol, dans une minute plus longue qu’une éternité.
Un silence majestueux éternise l’air, fractionne les émotions et embrigade la chair de poule qui traverse les présents. Des youyous de femmes, d’abord timides puis plus hardis, transpercent le ciel. Je m’approche, coupe le silence et demande à une femme ce qui se passe. Elle me répond fière, c’est mon frère, il vient de rentrer après vingt trois ans de dictature. Dommage que mes parents n’ont pas survécu à son absence, ils sont morts de chagrin et d’exil. Je félicite et me retire discrètement.
Hier encore un ami me rappelle à cette vérité.
J’ai vite une pensée pour mon frère, si loin et si près, qui dans son insoumission, il y a dix ans, a préféré se retirer à sa manière vers un pays fait de glaciers géants, d’iceberg et de gel mais aussi d’étés indiens où le soleil est doux apaisant pour les grands brûlés.
Pour eux tous, j’ai une pensée.
Pour Shiran, Yassine, Wejdene la belle enfant, Randa mon enfant dans la Mauritanie de ses rêves à exaucer, j’ai une pensée.
Une pensée douloureuse et qui pleure parce que je n’ai pas su ainsi que mon peuple vous ramenez à notre sein.
Un sein aride mille fois plus stérile que celui de votre pays d’accueil, ce deuxième sein de substitution.
Un sein de change fade certainement car l’éloignement ternit les affects et embellit le laid, mais un sein combien complet et généreux qui a su vous prendre dans ses bras, bercer et ma foi fait oublier.
Mais oublie-t-on réellement sa mère biologique comme mon ami ce matin m’a dit?
Je tire sur ce sein tant adoré, il me vient des coups.
Je tire encore, il me vient des bleus.
Je donne des petites lapes pour amadouer, rien ne vient.
Je suis dans l’intense excitabilité de l’oralité hormis quelques traînées lancinantes, le son de la matraque et les jurons des policiers.
J’ignore ma peur, sonde ma faim et continue à laper.
Chiens perdus sans collier, mère immonde sans cœur.
Pourquoi les dénigrer?
Pourquoi continuer à souffler l’abysse et l’affront?
Pourquoi ta gloire est-elle dans leur désaffection, la mienne et celles de mes semblables?
Pourquoi tiens-tu à nous traîner dans la mutinerie, la désobéissance et l’insurrection?
Pourquoi te réjouis- tu dans notre départage, désillusions et destruction?
Pourquoi ton lit n’est jamais fait de chasteté, ton sein de pudeur?
Pourquoi n’es-tu faite que de sang et de larmes?
J’ai peur et je ne veux plus t’aimer mais combien honte à moi, tu es ce pays dont je meurs ou encore ce pays dont je vis!