Rachid Merdassi * écrit de Londres - La révolution impose un diagnostic des vrais problèmes qui empêchent une évolution du secteur conforme aux attentes et sacrifices consentis.


Quels que soient les choix économiques futurs en Tunisie, le tourisme  demeurera un choix stratégique irréversible et incontournable eu égard à l’ampleur de son impact économique et social dans un pays dépourvu de ressources naturelles et confronte au défi permanent du chômage, sans oublier les effets induits de cette industrie sur la quasi totalité des autres secteurs productifs.
C’est ainsi que la révolution, consciente de l’enjeu que représente cette industrie pour l’avenir et le développement du pays, l’a placé parmi ses priorités absolues  au vu du nombre d’émissions et articles de presse qui lui sont consacrés régulièrement.

L’emprise du politique sur un secteur technique
Toutefois, il est regrettable de constater le manque de pertinence et de consistance  des arguments et des analyses sur la situation actuelle du tourisme tunisien, développés aussi bien par certains responsables de l’administration, que des médias et autres «apprentis sorciers» qu’on nous présente comme des «experts» du secteur et qu’on voit souvent défiler à l’écran.
Il ne faut pas avoir peur des mots, le tourisme tunisien est bien malade. Il souffre de problèmes structurels qui remontent aux années 90 et d’un manque d’adaptation aux mutations de la demande internationale qui sont la cause première de sa régression et de la chute de ses performances.
Chercher à occulter cette réalité, souvent sous couvert de la conjoncture économique internationale, et aujourd’hui en l’imputant à la conjoncture intérieure et aux crises qui secouent le monde arabe, ne fera qu’amplifier le problème et ne rendra certainement pas justice à une révolution qui cherche à faire table rase des erreurs et errements du passé. Et si la vision de départ était bonne, c’est la pratique  qui fut mauvaise du fait de l’emprise du politique sur un secteur purement technique.

Le dogme sacro-saint de la relance à tout prix
Il est certes primordial de parer au plus urgent en s’attelant à la relance d’une haute saison compromise par une révolution qui vaut tous les sacrifices, mais selon quelle stratégie de communication et de marketing? Sur la base de quels engagements contractuels et publicitaires réels de la part des tours opérateurs internationaux? Quel timing? J’ai bien peur qu’en ces temps de disette économique, l’on ne procède encore à dilapider nos maigres ressources dans des campagnes d’image improvisées et tardives, comme par le passé, au nom du dogme sacro-saint de la relance à tout prix.
Le préjugé favorable accordé par la communauté internationale à notre révolution et que nos «stratèges en communication touristique», par manque de réactivité, n’ont pas saisi au volet avec célérité, pour le traduire en dividendes publicitaires, en notoriété et en capital sympathie au coût inestimable, s’est estompé au profit  d’autres révolutions, et ce ne seront pas des campagnes et actions promotionnelles classiques qui rétabliront l’ordre des choses pour cette saison.
L’argument psychologique étant un outil redoutable de communication, combien j’ai regretté, moi qui vit à Londres, l’absence d’affiches géantes, dans le métro et ailleurs, écrites dans un langage simple et peu couteux, appelant les Britanniques à  exprimer leur solidarité avec la révolution tunisienne par la réservation de leur vacances cette année dans notre pays?

Les reflexes de dépendance
Je voudrai souligner au passage que les reflexes de dépendance culturelle de nos responsables touristiques et de nos médias, qui ont longtemps et souvent privilégié  le marche français sur d’autres non moins  importants et souvent plus lucratifs, en le considérant comme étant le seul et unique baromètre de santé du tourisme tunisien, sont en grande partie responsables des carences et déséquilibre de notre  stratégie de communication et du corollaire de leurs implications sur les performances et qu’ils feraient mieux de procéder à une lecture plus approfondie  des statistiques relatives à la durée de séjour, recette et dépenses par nationalité pour se rendre compte du poids et dimension réels  de chaque marche.   
Une relance à la mesure des enjeux et de cet événement historique aurait dû mettre  à contribution aussi son excellence le chef de L’Etat en personne, eu égard à son ascendance morale, par la rencontre, à Tunis, des  grands tours opérateurs et décideurs européens, pour les sensibiliser sur la situation et les impliquer moralement dans cet élan exceptionnel de solidarité dont a besoin notre pays en ces moments difficiles car, connaissant bien la mentalité européenne, je suis certain qu’une telle action aurait eu le meilleur des retentissements et impact sur le plan commercial.
Une telle occasion aura également servi de dissiper le cumul de malentendus et griefs qui existent entre les grands tours opérateurs et leurs partenaires tunisiens et qui sont en grande partie responsables de leurs désengagements progressifs sur notre destination. Il n’y a qu’à voir la chute des marches allemand et anglais en particulier pour s’en rendre compte.
A quoi servent les accords bilatéraux de coopération touristique, avec la Turquie en l’occurrence, quand on sait l’emprise des tours opérateurs turcs sur le tour operating européen et dont la plupart ne programment pas la Tunisie?
Quel dommage de voir le tourisme tunisien réduit à cet état de dépendance et  d’incapacité à prendre son destin commercial en main après un demi siècle d’existence!
Aujourd’hui et à la faveur de la révolution, un devoir d’inventaire s’impose pour diagnostiquer les vrais problèmes et déterminer les causes qui empêchent une évolution du secteur, conforme aux attentes et lourds sacrifices consentis.
La régression, voire le déclin de marchés européens traditionnels, longtemps considérés comme étant notre socle commercial et que le développement des marchés libyen et algérien est venu à point nommé maquiller, dans les statistiques, les retards accumulés sur des destinations telles que la Turquie, l’Egypte et le Maroc qui, hier encore, tenaient le tourisme tunisien en modèle et lui jalousaient ses réussites, sont autant de raisons qui signalent l’urgence d’une reprise en main sérieuse de ce secteur.
Tout un chantier de réformes structurelles et de fonds est à engager par nos experts et intervenants si l’on veut que le tourisme tunisien renoue avec sa gloire passée et se hisse au niveau des espoirs  de la révolution. Cette tâche dépasse les compétences de l’administration qui a montre ses limites, voire sa responsabilité dans ce déclin.
Aussi, toute ébauche d’une nouvelle feuille de route, d’une nouvelle vision, au diapason des défis et enjeux auxquels le tourisme tunisien sera confronté, ne peut se concevoir qu’a partir d’un diagnostic rétrospectif de tous les paramètres et agrégats du secteur depuis sa création et d’une étude comparative avec les politiques de développement touristique adoptées par la concurrence, et qui ont été d’une efficacité redoutable au vu des records de performances réalisés par ces destinations.

* Ancien cadre à la retraite.